Le débat contradictoire, un principe stérile ?

Qui n’entend qu’une cloche n’entend qu’un son, ce n’est que de la contradiction, de la confrontation d’idées, du débat que l’on peut s'approcher d’une vérité. Néanmoins, si nous n’entendions, souvent, qu’une cloche ? Et si le principe du débat contradictoire était stérile ? Et si le problème venait de l’écoute ?

Combien de fois avez-vous assisté à des débats pendant lesquels chaque contradicteur campe résolument sur ses positions. Sans véritable écoute de l’un vers l’autre. Dans lesquels chaque partie est certaine de son fait, de sa vérité. Des débats interminables, et qui reviennent inlassablement. Les mêmes idées. Les mêmes arguments. Cependant, avec des personnes différentes.
Un spectacle devant lequel l’auditeur non-initié à la thématique débattue doit se faire une opinion. Et qu’est ce qui emportera l’avis du néophyte ?
Est-ce le contenu du face-à-face ? Est-ce la manière dont il est présenté ? Se laissera-t-il charmer par le fond, ou la forme ? Se laissera-t-il envoûter par la personne, ou par son discours ? Se laissera-t-il prendre par l'effet de l'halo ? (et dont l'effet sur un auditoire est d'accorder plus de crédit, de juger plus favorablement les déclarations d'un vibrant et séduisant orateur qui, sûr de lui, bondit sur scène. Alors qu'il ne le mérite pas, si vous l'écoutez attentivement).

« L'impression que les sophistes donnent à ceux qui les écoutent est donc, il me semble, de connaître parfaitement ce qu'ils contredisent, » Le Sophiste, Platon. Albert Mehrabian, professeur de psychologie, est le premier à établir que dans une discussion entre deux individus trois éléments entrent en jeux: les mots (Verbal), le ton de la voix (Vocal) et le langage corporel (Visual). Isolés, ces éléments n’ont toutefois pas tous la même portée, et Mehrabian arrive à la conclusion que ce sont les comportements non-verbaux qui prévalent. C’est la fameuse règle des 7, 38, 55 %, plus tard popularisée comme la règle des 3V (Verbale, Vocale, Visuelle): 7 % de la communication est verbale (les mots), 38 % de la communication est vocale (intonation et son de la voix), 55 % de la communication est visuelle (langage corporel). Nous sommes donc extrêmement influencés par le langage corporel d’autrui, que nous en ayons, ou non, conscience.

Quid de l’auditeur éclairé, expert: le sachant. Est-il plus enclin à écouter ? A apprécier les arguments de chaque partie ? A faire la part des choses ? A peser le pour et le contre ? A-t-il l’esprit plus critique ? Se remet-il en cause ? Le risque est qu’il reste dans sa zone de confort. Et que, consciemment ou non, il n’entend et n’apprécie les arguments de la partie adverse.

« Tout le monde croit que le débat contradictoire est fécond; moi je pense exactement l’inverse, » explique Michel Serres à Judith Bernard, lors d'une interview pour le site arrêtsurimages, avant de rajouter: « Je pense que le débat contradictoire est un spectacle, c’est sûr, c’est la société du spectacle qui le veut. Vous savez, je suis historien des sciences, tout le monde croit que les débats sont fertiles pour l’invention, mais c'est faux : ils ont toujours été catastrophiques! Ce qui a été inventif c’est des communautés qui se sont mises ensemble pour chercher un truc, et ça c’est un vrai dialogue. Mais un dialogue où on doit se battre est un dialogue absolument infertile!. » Ce à quoi répond Judith: « J'objectai que notre dialogue n'avait pas pris la forme d'un combat, et tentai encore d'avancer un argument sur la fertilité de la dialectique - vous aurez noté l'astucieuse substitution lexicale, par laquelle j'espérais attendrir le philosophe - que nenni ! Le voilà enfourchant aussitôt ce nouveau cheval de bataille : Moi je crois que la dialectique n'est pas fertile. J’ai souvent demandé à mes étudiants, à l’ENS quand j’étais professeur: «donnez-moi un exemple d’une seule invention faite grâce à la dialectique. Jamais un seul de mes étudiants en thèse n’a pu donner un exemple. La dialectique est un faux-semblant. » La science vient de l’expérience, non de l’autorité, clamait Léonard De Vinci, qui se disait disciple de l’expérience.

Dés lors, débat caca ?
Le débat a le mérite de porter devant l’agora un sujet. Thématique pour laquelle les gens se feront une opinion, selon leurs croyances, leurs valeurs, leurs expériences, leurs ressentis, leurs éducations, etc. Sans doute, aussi, selon le profil des débatteurs. Qu’à cela ne tienne. Car les débatteurs changent, les arguments restent, et les auditeurs, au gré des joutes verbales, sont parfois plus enclins, un jour, à écouter le contenu d’un discours. 
L'écoute s'apprend. L'écoute n'est pas naturelle. Souvent, les gens entendent, mais n'écoutent pas activement. Cette écoute bienveillante, sans jugement. Cette écoute active qui passe par des moments de silence, d'ouverture à autrui. Une qualité d'attention qui fait parfois défaut aux débatteurs qui déblatèrent leurs idées. Un dialogue de sourd. Des énonciations qui ne semblent être que des récitations.
« La pensée paresseuse est le commun de toutes les théories totalitaires », dispose Boris Cyrulnik, lors d'un entretien télévisuel sur TV7. « Petit à petit, des slogans entrent dans une culture. » Ils font illusions, ils font croire que l'on a compris, mais, « comme un perroquet, nous récitons (...) Et nous nous soumettons à une représentation dépourvue de jugement (...) Quand une culture ne permet pas la rencontre, le débat, elle se soumet à un slogan. » Et ses représentants deviennent « faciles à manipuler (...) Dans l'histoire, chaque nouvelle manière de penser (...) a provoquée l'hostilité. » Il y a cette nécessité de critiquer « les doxa que l'on se répètent sans jugement et qui sont détenues pour vrai. » Cette pensée, cette récitation paresseuse faite de certitudes.

Ainsi, « tout ce que je sais, c’est que je ne sais rien, » comme le suggérait Socrate. « L'important n'est pas de convaincre, mais de donner à réfléchir, » comme le clame Bernard Werber...

Pour aller plus loin: Croyances et connaissances sur le web, la démocratie des crédules. Si vous souhaitez lire le billet de blog, vous pouvez cliquer ici !

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