Du bon mouillage d’un gâteau dans mon café: des études, et des réponses

« Je portai à mes lèvres une cuillerée du thé où j’avais laissé s’amollir un morceau de madeleine. Mais à l’instant même où la gorgée mêlée des miettes du gâteau toucha mon palais, je tressaillis, attentif à ce qui se passait d’extraordinaire en moi. Un plaisir délicieux m’avait envahi, isolé, sans la notion de sa cause », A la recherche du temps perdu, Proust
C’est un rituel. Chaque matin, lorsque j’arrive au boulot, je me dirige machinalement vers la machine à café, puis je m’installe devant mon écran, je m’empare de mon paquet de gâteau, je prends quelques choco Prince que je trempe dans ce liquide chaud à base de caféine avant de les manger. Le défi est de bien doser le temps de mouillage afin que le biscuit ne soit ni trop dur, pour annihiler sa parfaite osmose avec le kawa, ni trop mou pour casser en plein vol et retomber dans la tasse ( et devenir un bouc-émissaire: le premier épisode malheureux d’une journée qui accumule les imprévus; c’est une question de karma). On ne plaisante pas avec la mouillabilité d’un choco Prince. Mais pourquoi devient-il meilleur une fois trempé ?
equationLa technique du mouillage sans faille. « Les gens adorent tremper leurs mets sucrés dans leurs boissons chaudes, car ce processus permet d’accroître leurs goûts», dispose le Dr Len Fisher, de l’Université de Bristol, et qui, à partir de l’équation de washburn, a déterminé l’angle optimum afin de bien humecter le biscuit tout en évitant le point de rupture: celui où le biscuit gorgé de liquide se décompose ( ainsi, un gâteau sec peut tenir 8 secondes dans une tasse de thé, tandis que ce laps de temps descend à 2,85 secondes pour un gâteau style Pepito ou Granola). La stratégie a adopter est l’approche horizontal (avec un angle très faible), en prenant soin de retourner le gâteau si ce dernier n’est tartiné de chocolat, par exemple, que d’un seul côté.
Néanmoins, Len Fisher fait une surprenante découverte. En fait, d’un point de vue physiologique, deux facteurs caractérisent le goût, le fait de manger (dans ce cas les arômes chimiques excitent les papilles gustatives sur la langue), et de sentir ( ici, les arômes chimiques excitent l’épithélium olfactif dans votre nez ). Fisher analyse alors le comportement olfactif des gens et leur fait sentir dans des tubes à essais des morceaux de gâteaux, et sec, et trempés dans un  verre de lait, ou dans une tasse de café ou de thé. Le résultat: à l’odeur, les cobayes préfèrent largement le biscuit qui a été mis en contact avec le lait: « And sure enough, dunking your biscuit into a milky drink gives you up to 11 times more flavour release than from eating the dry biscuit alone. »
Le temps optimal de trempage d’un petit beurre de Lu. C’est une étude de l’Université de Technologies de Compiègne qui s’est penchée sur le temps de mouillage idéal d’un petit beurre dans du café. Avant de commencer leurs expériences, les étudiants déterminent ce qu’est, pour eux, un « petit beurre trempé de façon optimale » et tranchent, après de vives échanges: « c’est lorsqu’il est à moitié imbibé de café, laissant le cœur encore croquant. » Ensuite, deux variables sont prises en considération, la température et la concentration en café. Finalement, les chercheurs du petit beurre humide, mais pas trop, déclarent: « les résultats nous ont permis de conclure que seule la température, (qui variait de 10 à 70 degrés  ndlr), influait sur le temps de trempage optimal et nous nous sommes arrêtés sur une moyenne de 0.9 secondes. »
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Farand-kun, Flickr
Une remarque: si le mouillage d’un gâteau dans un café à 10 °C est possible, son breuvage est nettement moins appréciable. Pas moins de 800 substances chimiques composent le café. Un liquide complexe qui nécessite, pour une parfaite préparation, l’utilisation d’une eau froide filtrée et chauffée entre 90 et 96 °C. Aussi, selon M. Laforest, A. Saucier, E. Chan-Tave, de l’école polytechnique de Montréal, et qui se sont penchés sur cette cruciale interrogation du temps de refroidissement de cette boisson psychotrope dans le parlement du peuple, pour plagier Balzac : « en laissant sa tasse de café à 100 degré sur le comptoir d’un bar, elle n’est plus qu’à 50 degré en dix minutes et pratiquement à 20 degré en 30 minutes. Par contre, même en laissant sa tasse beaucoup plus longtemps, la température du café ne descendra pas en dessous de la température ambiante. » Mon café sera sans doute plus chaud en Belgique en novembre, qu’il ne le sera à Montréal pendant la même période. C’est bon à savoir.  Du coup, à quand la confirmation scientifique de cette réflexion de Pierre Dac: « Si l’on donnait du café aux vaches, on trairait du café au lait. »
La tradition, un exhausteur de goût. Le fait de suivre de petits rituels améliore-t-il le goût des aliments et augmente-t-il notre plaisir d’en manger ? Quatre expériences sont menées par des étudiants de l’université de Harvard et du Minnesota ( « Rituals Enhance Consumption », par Kathleen D. Vohs, Yajin Wang, Francesca Gino et Michael I. Norton)  afin de répondre à cette question. La réponse est affirmative. Manger selon un rite précis augmente le degré de saveur d’un aliment, de même que l’attente entre la pensée d’exercer le rituel et de le faire réellement améliore son goût. Enfin, l’étude met en évidence la théorie de l’implication: le rituel accrois l’attirance d’un met si, et seulement si, nous en sommes l’instigateur.
Personnellement, je ne sais si c’est un rituel, ou ma gourmandise, qui m’incite à manger des mets sucrés le matin avec mon café. Toujours est-il qu’une sorte de conditionnement opérant me pousse à consommer mon café du lundi au vendredi, les jours de labeurs. Le week-end, cette envie de choco Prince trempés dans cette boisson chaude n’affole nullement mes papilles.

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