Les juristes, des doux rêveurs ?

Ils définissent le début et la fin de vie, ils inventent le temps, l’espace, la propriété, les droits et devoirs de chacun, ils caractérisent l’être humain, ils régissent notre vie, etc. Ces juristes, que l’on imagine comme des êtres froids et calculateurs, ces « scientifiques » adeptes du syllogisme, ces êtres carrés, sans humanités, ne seraient-ils pas, en fait, des rêveurs ? Du moins, des inventeurs ?, se demande Bernard Edelman.
Parallèlement à la vie réelle, une vie de droit est échafaudée par les juristes. Ces démiurges qui ne cessent d’inventer le monde dans lequel nous vivons: imparfait, source de compromis, néanmoins en pleine évolution. L’état du droit à une époque actuelle est le reflet de notre société. Une image parfois moche et incompréhensible.
Un exemple, en feuilletant le week-end dernier dans ma bibliothèque un exemplaire (fac-similé) du Code Civil de 1804, aussi dénommé: le code Napoléonien, et qui dans son Livres Ier, « Des Personnes », Chapitre VI, «Des droits » et des « Devoirs respectifs des Époux », disposaient:
Article 213: Le mari doit protection à sa femme, la femme obéissance à son mari. 
Article 214: La femme est obligé d’habiter avec le mari, et de le suivre par-tout où il juge à propos de résider: le mari est obligé de la recevoir. 
Article 215: La femme ne peut ester en justice sans l’autorisation de son mari. Autre exemple: Titres III, Des Contrats ou obligations conventionnelles en générales, section II De la capacité des parties contractantes, Article 1124 : Les incapables de contracter sont les mineurs, les interdits, les femmes mariées, les criminels et les débiles mentaux.
Article 1125: [...] la femme mariée ne peut attaquer, pour cause d’incapacité, ses engagements.
En 1910, il y a un un peu plus d’un siècle, le code civil accueille une nouvelle disposition : le devoir conjugal est considéré comme une obligation (il n’existe pas de viol entre époux) : La femme et ses entrailles sont la propriété de l’homme. Il en a fallut des combats pour modifier cela.
« Je n’ai jamais réussi à définir le féminisme. Tout ce que je sais, c’est que les gens me traitent de féministe chaque fois que mon comportement ne permet plus de me confondre avec un paillasson », se plaisait à dire Rebecca West, journaliste et romancière britannique du XXème siècle. C’est ainsi, le droit des femmes, notamment en France, est très récent. Au pays des droits de l’Homme, les Femmes n’ont obtenu le droit de vote qu’en 1945. Malgré ces évolutions juridiques, demeurent en occident des résistances inconscientes, des réflexes machistes archaïques. Plus encore, une étude canadienne explique pourquoi les « féministes peinent, voire échouent, à changer les comportements : la plupart des gens ne veulent pas être associés à ces militants » et de conclure: « Les personnes interrogées ont des stéréotypes négatifs tellement bien ancrés qu’ils n’ont pas envie « d’adopter les comportements que ces militants promeuvent ». Les chercheurs qui ont conduit trois enquêtes différentes ont été surpris par ces « caricatures cruelles » qui, selon eux, jouent un rôle clef dans la résistance au changement social. »
Le droit est une science évolutive. Et à Bernard Edelman de raconter, à promos des Hommes de droit: « Leur seul souci, en vérité, est de tendre à la société un miroir où elle se contemplerait en soupirant d’aise : tout est là, se dirait-elle, tout est à sa juste place – les choses et les personnes, les droits et les devoirs, le permis et l’interdit ; la maison est en ordre. Mais, de quel prix se paie cet ordre ? C’est là qu’intervient la fiction comme alibi de la raison. »
Ces juristes, ces rêveurs, ces bâtisseurs, ces êtres pragmatiques… N’hésitez pas à lire le livre: « Quand les juristes inventent le réel », de Bernard Edelman.

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