Souvenir d'enfance: Afrique, et Colibris

Gamin, je me souviens d'avoir regardé ce reportage, dont le thème était l’Afrique. Je me rappelle de ces enfants au corps décharnés qui gravissaient d’énormes montagnes d’ordures. Une décharge à ciel ouvert dans laquelle ils tentaient de trouver, notamment, de la nourriture. Naïf, je suis discrètement allé dans ma cuisine pour prendre quelques desserts et barres chocolatées, et sans les ouvrir, je les aient jeté dans la poubelle.
Mon raisonnement était tout innocent, enfantin. Je pensais ainsi pouvoir partager mon repas avec ces gens qui ne peuvent manger à leur faim. Je pensais que si tout le monde m'imitait, il n’y aurait plus de famine. C’était simple. Il n'y avait pas de réel problème, que de la mauvaise volonté. D’ailleurs, comment pouvait-il y avoir des disettes étant donné les rayons de mon supermarché qui, de jour en jour, je le voyais, dégueulaient de marchandises comestibles ? C’était inconcevable. Tout autour de moi, je constatais l’abondance et le gaspillage.

Je faisais, alors, ce que je pensais être mon devoir. Quelle ne fut pas ma surprise et ma déception en apprenant que mes poubelles n'allaient pas en Afrique, dans cet Olympe des Infortunes.

« Zut ! Du coup, que va devenir toute la nourriture que j'ai cachée dedans...
- Pardon, que veux-tu dire ?
- Heu...Non, rien »

Un drôle de foutoir. Un labeur sans fin. Plus j'apprenais, plus j’avais conscience de ce qui était inconnu, et plus je me sentais ignorant. Heureux est le crédule qui se laisse bercer dans son océan de savoir et de certitudes.

Aujourd’hui, je recycle ( ce qui est d'autant plus facile que c'est obligatoire). Je ne disperse pas mes emballages et mes vieux mouchoirs usagés dans la rue ( ni mes chewing-gum, et j’aurai d’ailleurs quelques politesses à échanger avec celui qui en a laissé en offrande juste devant chez moi). Je regarde la provenance de mes aliments ( si tant est que cela soit possible). Je pense changer de banque pour une qui soit moins portée sur la financiarisation à outrance et plus centrée sur l’économie réelle, etc.
Cependant, à quoi cela sert-il ? Qui suis-je, moi, pour faire bouger les choses ?

Les plus optimistes rétorquent, dans leurs majestueux discours, que tout bouleversement vient toujours de la base. Qu'il faut donner du temps au temps. Que ce sont des actes à « petites échelles » qui, cumulés, entraînent le changement des mentalités; et d’imager leurs plaidoyers avec la fable du colibri.

Un gigantesque incendie ravage une forêt. Tous ces habitants, tous les animaux, paniquent. Effrayés, ils courent à droite, à gauche devant ce fléau qu’ils ne peuvent combattre. Comment lutter contre un cataclysme d’une telle ampleur ?

Pourtant, seul un frêle colibri s'évertue à jeter, inlassablement, goutte d’eau après goutte d’eau sur ce feu. Étonné, dépassé par la folie qui semble animer ce petit oiseau, un tatou l’interpelle: 

« Tu ne penses tout de même pas éteindre cette fournaise avec tes gouttes d’eau ! 
- Non, je le sais bien, » répond humblement le colibri, « mais moi, je fais ma part. »

« Je fais ma part des choses. » Dans mon entourage, je connais de nombreux colibris. Leur tâche est ardue. Elle semble impossible, insurmontable. Néanmoins, chaque jour, parce qu’ils possèdent cette inébranlable foi qu’une poignée de gens peuvent changer les choses, ils ne cessent de combattre la folie qui électrise une infime proportion d’entre nous. Une folie, source de tant d’inégalités. Une folie contagieuse. Une folie empreinte de fatalisme. Que puis-je y faire ? Le Monde tourne, le Monde tourne vite, et dans cette effrénée spirale il m’entraîne. Comment y résister ? De nouveau, qui suis-je pour m’y opposer ? Un grain de sable qui démange ? Un grain de poussière qui fait toussoter ? 

« Chaque fois qu’on produit un effet, on se donne un ennemi. Il faut rester médiocre pour être populaire. » (O. Wilde). Toutefois, répétons-le,  l’Histoire, cette galerie de tableaux dont il y a plus de copies que d’originaux, nous enseigne que quasi tous les changements sont venus d’en bas. Qu’ils ont été le credo, la croyance, les divagations,  la volonté d’une faible proportion d’Hommes. Indignez-vous, disait l’autre. Et rappelez-vous: « Il y a seulement deux manières de vivre votre vie: L'une est comme si rien n'était un miracle, l'autre est comme si tout était un miracle. »

Pour aller plus loin: 

- « Si la connaissance est une sphère », explique Pascal, « sa surface est en contact avec ce qu’elle ne contient pas, c’est à dire l’inconnu. De ce fait, à mesure que la connaissance progresse et que la surface de cette sphère fait de même, l’aire en contact avec l’ignorance ne cesse de progresser elle aussi. En réalité, ce n’est pas tant l’ignorance qui croît symétriquement à la connaissance, que la conscience de ce qui est inconnu, c’est à dire la conscience du manque d’information qui caractérise notre appréhension de certains sujets. Cette conscience peut parfaitement être mise au service de la crédulité. » Pour en savoir plus, cliquez ici !

- Pierre Rabhi et J.M Le Clézio, La Grande Librairie, 10 avril 2014, cliquez ici !

Commentaires

Articles les plus consultés