Du web du clic au web de l'attention, le nouveau paradigme


« Il faut passer du web du clic au web de l’attention, » conseille Tony Haile, PDG de Charbeat ( une société connue son service de mesure d'audience en temps réel), aux médias de qualité. C’est un vertueux changement de paradigme. Il faut passer d’un journal en ligne de masse, à un journal en ligne personnalisé: un lecteur, un profil, des articles proposés selon ses centres d'intérêts. C’est sans doute une regrettable voix sur laquelle chemine des groupes de presse.

Vers le web de l’attention. Comme l’analyse Tony Haile, pour le journal Le Monde: « vendre des affichages de publicité sur des pages, comme le font aujourd'hui les médias, ne monétise pas du contenu mais des clics sur des liens qui mènent à du contenu. Une fois que j'ai cliqué, la monétisation a lieu, peu importe que j'aie lu le contenu ou que je l'aie aimé. Cela pose un problème pour le bon contenu. » Dés lors, les éditeurs de presse ont besoin d’un nouveau système de mesure: « Il faut passer du web du clic au web de l'attention, » dispose le PDG de Charbeat avant de renchérir: « Il s'agit du temps comme mesure de l'attention de quelqu'un en train de réellement regarder un contenu ou une publicité. Ce changement présente plusieurs avantages : il nous rapproche du but premier des annonceurs – capturer un peu de l'attention du public – mais il bénéficie aussi aux éditeurs car le temps est le seul élément de rareté sur le Web. »
Le défi est de taille. Il est « très difficile de conserver l'attention de quelqu'un : 30 % des internautes quittent une page en moins de quinze secondes, sans avoir fait défiler l'écran ou scrollé, » explique alors le chantre du web de l’attention avant de rajouter: « Si vous retenez l'attention d'un lecteur pendant trois minutes, il a deux fois plus de chances de revenir sur votre site que si vous l'avez retenu une minute. Ce chiffre est intéressant si vous cherchez à susciter des abonnements. »

Néanmoins, ce web de l’attention ne devrait être couplé à la personnalisation à outrance des médias selon le profil des lecteurs. Imaginez un site qui, selon vos convictions politiques, vos valeurs, vos attraits pour les faits de société, et votre équipe préférée, Rennes, n’affiche, pour vos beaux yeux, que des articles qui confirment votre vision du Monde. Qui confortent vos opinions, votre perception de la réalité. Qui n’outrepassent pas votre zone de confort. 
Que se passe-t-il ? Sociologiquement parlant, le journal numérique sert le biais de confirmation, qui « désigne la tendance naturelle qu'ont les personnes à privilégier les informations qui confirment leurs idées préconçues, » afin de ne pas heurter leur sensibilité, leur univers, leur pré-carré de savoir, de confort intellectuel. Or, ce n’est pas le rôle de la presse de contenter ses lecteurs. Elle doit leur donner des clefs de compréhension du Monde qui les entoure, susciter des débats. Les informer. Les éclairer. Les surprendre, etc.

Ce matin, mercredi 3 septembre 2014, « Le canard enchaîné », journal satirique, publie l’intégralité de ses comptes, comme tous les ans. Des résultats en baisses: « La crise de la presse n’épargne pas, cette fois-ci, “Le canard”, dont la vente chute de 16 % en 2013. Ce mauvais résultat n’est pas vraiment une surprise, car notre diffusion baisse, c’est ainsi, quand la gauche est au pouvoir. En raison, notamment, de la désertion de certains de nos lecteurs, de sensibilité socialiste, qui trouvent “Le canard”  trop sévère et préfèrent ne pas voir les déficiences du gouvernement qu’ils ont appelés de leurs vœux. » Et de préciser que les ventes avaient dégringolé de 25 % ( avant de regrimper) juste après l’élection de Mitterrand. 
Partant, adapter sa ligne éditoriale et placer un filtre selon le profil des internautes peut sembler être une bonne idée. Le faire, c’est lui faire plaisir. Le faire, c’est attirer fidèlement son attention. Toutefois, l’aidons-nous, à lui proposer que des choses qu’il connait, qu’il aime ? Cogiter en vase clos n’amène pas la sagesse, la connaissance, la vérité. Or, « voyager dans le monde à la recherche de la vérité. Voilà ce qu’est le journalisme. »

« La vérité est une terre sans sentiers. C’est en cheminant qu’on trouve. Personne ne va te dire: “ Regarde, le sentier qui mène vers la vérité, c’est celui-là.” Ce ne serait pas la vérité, » explique Tiziano Terzani, dans Le Grand Voyage de la vie: « Si on reste dans le connu, on ne découvrira rien de nouveau. (...) Si on voyage sur les rails du connu, on reste dans le connu. C’est la même chose quand on cherche. Si on sait ce qu’on cherche, on ne trouvera jamais ce qu’on ne cherche pas et qui est peut-être la seule chose qui compte. »


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