Contre les élections et pour la démocratie: David Van Reybrouck

"Contre les élections pour la démocratie (...) Contre les élections si la démocratie se limite à cela, " David Van Reybrouck, "Le grand entretien," Mediapart.

Crise de légitimité et d’efficacité. Dans tous les pays occidentaux, il y a cette palpable méfiance, toujours plus grandissante, contre les parties politiques, les parlements et le pouvoir en général. Considérés comme du simple bétail électoral par certains élus, les citoyens se sentent exclus. Non écoutés. Volés, violés dans leur choix biaisé par ces sophistes-politiques. Pourquoi continueraient-ils à aller aux urnes et à y déposer leur voix sachant qu’elle ne sera pas entendue, pas respectée ? Choisir de se faire représenter par cet individu, se laisser convaincre par son programme, et, au delà des mots, ne pas trouver un réel échos à ses paroles : "Tout mandat impératif est nul," dispose la Constitution française du 4 octobre 1958. "Nous sommes élus: à l'opposition et aux citoyens de nous supporter, de nous subir. Et on se retrouve aux prochaines élections pour en discuter. Ou pas."

Une étude de l’université de Princeton publiée en septembre 2014 par Martin Gilens et Benjamin I. Page dispose que, de nos jours, les Etats-Unis ne sont plus une démocratie, mais une oligarchie. Comme l’explique David Van Reybrouck à Cyril Dion, pour le film “Demain”: "Elle (l’étude, ndlr) a comparé la volonté des gens (exprimé dans des sondages d’opinion) avec les actions gouvernementales et les préférences de l’élite économique. Et elle est parvenue à la conclusion que les décisions publiques sont presque systématiquement en phase avec les envies et les appétits du monde économique. Et non pas avec les souhaits de la majorité de la population."
A cela s’ajoute le rapport bisannuel de Transparency International sur la perception de la corruption, renchéri David Van Reybrouck: "Dans tous les pays occidentaux, les organisations qui suscitent le plus de méfiance de la part du public sont les parties politiques. Même en Norvège 41 % des gens pensent que les partis sont corrompus." En Belgique, ce taux est de 67%, tandis qu’en France il est de 70 %. 

Et la défiance est mutuelle. "La méfiance des élus vis-à-vis des citoyens est énorme, ce qui est compréhensible quand on voit le populisme, l’extrême droite, la violence dans les réseaux sociaux. Mais cette violence verbale sur la Toile est un cadeau. C’est un cadeau dans du fil barbelé, il faut juste enlever le barbelé et récupérer le message," scande David Van Reybrouck à Béatrice V., pour le journal Libération. 

Et si les élections étaient l’un des maux dont souffre notre démocratie ?
Révolutions française et américaine: l’aristocratie héréditaire remplacée par l’aristocratie élective. Le mot élection possède la même racine étymologique que le mot élite. "D’ailleurs, les élections n’ont jamais été conçues pour être une procédure démocratique. Au contraire, elles ont été inventées pour freiner l’installation de la démocratie. Ce que Bernard Manin a déjà écrit il y a vingt ans dans Principes du gouvernement représentatif (Calmann-Lévy) est en passe de devenir un grand classique. Les révolutions française et américaine n’ont jamais voulu mettre un terme à l’aristocratie pour la démocratie. Il s’agissait alors de remplacer une aristocratie héréditaire par une autre aristocratie, élective celle-là." Ensuite, il y a eu une démocratisation de cette procédure aristocratique en donnant le droit de vote à - quasi - tout le monde. Une démocratisation quantitative, et non pas qualitative.
Pourtant, Rousseau et Montesquieu défendaient le tirage au sort comme étant un système plus démocratique que les élections. Dans son essai De l’esprit des Lois”, Montesquieu dira: "Le suffrage par le sort est de la nature de la démocratie ; le suffrage par choix est de celle de l’aristocratie. Le sort est une façon d’élire qui n’afflige personne ; il laisse à chaque citoyen une espérance raisonnable de servir sa patrie." Ce à quoi Jean-Jacques Rousseau, dans “Du contrat social”, renchérira d’un: "La voie du sort est plus dans la nature de la démocratie." Dans son discours du 7 septembre 1789, l’abbé Siéyes dira même: "Les citoyens qui se nomment des représentants renoncent et doivent renoncer à faire eux-mêmes la loi ; ils n’ont pas de volonté particulière à imposer. S’ils dictaient des volontés, la France ne serait plus cet État représentatif ; ce serait un État démocratique. Le peuple, je le répète, dans un pays qui n’est pas une démocratie (et la France ne saurait l’être), le peuple ne peut parler, ne peut agir que par ses représentants." (Dire de l'abbé Siéyes, sur la question du veto royal : à la séance du 7 septembre 1789).

De nos jours, élection et démocratie sont intimement liées, l’un n’allant pas sans l’autre. "Nous avons totalement réduit la démocratie aux élections," se désole David Van Reybrouck lors d’un entretien avec Cyril Dion pour le film “Demain”: "J’ai beaucoup étudié l’histoire du Congo pour mon livre du même nom et, lorsque les gens disaient: Ils faut démocratiser le Congo, ils voulaient dire: Ils doivent tenir des élections comme nous." Et de préciser, dans l'émission "Le grand entretien", Mediapart: "J'ai beaucoup d'amis congolais qui m'ont dit. Les élections nous ont apporté de la corruption, de la violence et très peu de démocratie."
En théorie, le système est neutre et ouvert à tous: tout le monde, n’importe quel quidam, citoyen, peut se présenter aux élections. “En pratique, c’est bien différent”, commente David Van Reybrouck: "90% des élus sont des universitaires. Moins de 2 % de la population sont membres, en France, d’un parti politique. Moins de la moitié de ceux-ci sont actifs." Et au sein de ce faible pourcentage, combien se présente ? Et pour combien de mandats ? 




Dés lors, que faire ? Existe-t-il des alternatives à notre pire régime à l’exception des autres ? Peut-on l’affiner ? Le repenser ? 
"Il faut trouver de nouvelles formules pour faire parler le peuple (...) Pour le moment, nous avons les élections, les référendums et les sondages. Je trouve que ces mécanismes sont assez caducs, assez primitifs." Un référendum - quand les questions ne sont pas orientées - n’a pour résultante que de répondre par un simple oui ou un non. Et si jamais un non, comme en 2005 pour le référendum sur la constitution européenne l’emporte, quoi de plus simple que de passer outre cette décision populaire par un jeu de langage, de transposition, qui transforme une constitution en un traité. Quant au sondage, "comme l’a dit un chercheur américain, James Fishkin: dans un sondage, on demande aux gens ce qu’ils pensent quand ils ne pensent pas. Il serait plus intéressant d’écouter de qu’ils pensent quand ils ont eu la chance de penser." Poser de nébuleuses questions à une personne non préparée en fin d'après-midi, après une journée de labeur et pendant qu’elle s’affaire à s’occuper de sa famille, à concocter un repas ou que sais-je, n’est sans doute pas un procédé que l’on peut qualifier d’éclairé. 
Dés lors, une solution peut être la démocratie délibérative: "on contacte mille personnes, comme un sondage, mais on les invite à venir se parler, à rencontrer des experts, à se nourrir d’informations sur le sujet. Puis, après les débats et les échanges, on leur demande leur opinion de nouveau. Inévitablement, les réponses seront plus avisées." Au journal Libération, David Van Reybrouck confiera: "Quand les citoyens sont considérés comme des citoyens et pas seulement comme du bétail électoral, ils se comportent en adultes et non plus comme un troupeau. A l’inverse, beaucoup de partis politiques se conduisent comme des acheteurs de votes. Ils sont des chasseurs cueilleurs, alors qu’il faut des agriculteurs. Ils ne font plus leur travail : celui de mobiliser en instruisant."

Démocratie délibérative, tirage au sort, n’est-ce pas qu’une vaine utopie que d’y croire ? N'est-ce pas une proposition irénique ? Concrètement, peut-on vraiment imaginer ne serait qu’un instant que cette intelligence des foules puisse - parfois sans compétence de leur part- trancher des sujets parfois complexes ? 
"Lorsqu’on parle de nouvelles formes de démocratie, de démocratie délibérative, de tirage au sort, ce n’est pas qu’une idée. Il existe des centaines d’expérimentations qui ont été menées par des universités, des chercheurs. Invariablement, on constate que les personnes tirées au sort sont capables d’aller au-delà de leur propre intérêt. Elles ont peut-être moins de compétences que les élus politiques, mais elles ont une liberté bien plus grande qu’un parlementaire. Elles ne sont pas pieds et poings liés à toute une série d’intérêts commerciaux ou à leur partie politique. Par ailleurs, on voit que les gens sont capables de trancher des dossiers complexes, en veillant au bien commun de la société.
Le tirage au sort ne doit concerner que le domaine législatif, pas l’exécutif. "On aura toujours besoin des partis politiques et de gens compétents, responsables et prêts à assumer des fonctions majeures Il ne faut pas passer du fondamentalisme électoral au fétichisme du tirage au sort," précise David au journal Libération avant de rajouter, pour le documentaire “Demain”: "Je rêve d’un système bi-représentatif où la Chambre sera constituée de citoyens élus et le Sénat de citoyens tirés au sort. Le mandats des élus pourraient demeurer, peut-être avec uen limite temporelle. Et les citoyens tirés au sort changeraient tous les 6 mois ou tous les ans. Je pense que les deux institutions seraient capables de gérer le pays mieux qu’aujourd’hui et que cela ferait du bien aux partis politiques d’être régulièrement en contact avec des citoyens raisonnables et qui se renouvellent. Cela contribuerait à calmer l’hystérie du système actuel, entretenue par les médias. Une fenêtre médiatique teintée d’intérêts économiques et financiers. Le rôles des médias est phénoménale dans le dysfonctionnement actuel de la démocratie. Les élections sont gagnées dans des débats télévisés. Et ceux-ci ont des formats qui doivent attirer les spectateurs."

La démocratie n'est jamais achevée. Les élections sont les carburants fossiles de nos politiques, il faut passer aux énergies renouvelables, comme le propose David Van Reybrouck. L'important, c'est que les gens se parlent, dialoguent. C'est cela, la démocratie.
"Je vote toujours," raconte David au journaliste Joseph Confavreux, Mediapart, "Le grand entretien": "Pour quelqu'un qui a faim, chaque caramel compte. Et je pense que le vote est devenu un caramel. Ce n'est pas beaucoup," ce n'est pas diversifié, ce n'est pas sain, "l'Homme ne peut exclusivement s'en nourrir. Toutefois, on prend le caramel qu'on nous offre." Faute de mieux, pour le moment...


David Van Reybrouck: Contre les élections, pour... par Mediapart

Pour aller plus loin: 


- Le tirage au sort: "existe au niveau des jury d’assise. Et que même s’il n’est pas parfait, on voit que presque toujours, les jurés prennent très au sérieux leur devoir. Ils s’investissent énormément pour prendre une décision qui sert la justice d’uen société. Un exemple qui montre que des citoyens lambda sont capables de devenir des citoyens alpha," explique David Van Reybrouck dans le documentaire "Demain".  Tout en expliquant au journaliste Joseph Confavreux, Mediapart, "Le grand entretien", que le tirage au sort à longtemps été utilisé dans le domaine militaire. Tirer au sort les citoyens qui allaient se battre pour la patrie. Avec cette corruption des riches qui payaient des pauvres pour qu'ils partent à leur place. Le tirage au sort, ou un outils démocratique que l'aristocratie a abusé.

-"Contre les élections," un livre de David Van Reybrouck, 2014, Babel édition.

- Interview de James Fishkin, cliquez-ici !




- Quelques exemples de démocratie délibérative:"Par exemple, en Irlande, vient de s’achever la Convention constitutionnelle, où ont travaillé ensemble, une année entière, 66 citoyens tirés au sort avec 33 élus. Les résultats, tout récents, sont spectaculaires : cette assemblée de 99 participants a révisé 8 articles de la Constitution irlandaise, notamment celui sur le mariage homosexuel. On a vu ce que la France a connu d’instabilité politique pendant plus d’un an sur cette question. L’Irlande a eu une approche beaucoup plus juste, alors que ce sujet est nettement plus sensible là-bas, en invitant les citoyens à soumettre à la convention des réflexions, des dossiers, des arguments. Ceux-ci ont lu, entendu, consulté des experts, des lobbys, des prêtres catholiques, des organisations homosexuelles et pour finir, cette assemblée constituante a voté à 79% en faveur du mariage homosexuel. Le Texas a aussi montré que, dans une démocratie délibérative, la population est capable de proposer des lois ou des mesures extrêmement nuancées, sophistiquées. Cet Etat, pétrolier par excellence, détient aujourd’hui le record des éoliennes. L’évolution s’est faite dans un processus délibératif, en dépit des intérêts locaux favorables au système pétrolier." Extrait du journal Libération. Des propos repris et détaillées dans la vidéo ci-dessus de Mediapart, et dans le film "Demain".

- Un article de Slate, "Et si on tirait au sort nos élus ?": "Chacun constate que le suffrage universel ne tient pas ses promesses d’émancipation. L’élection induit mécaniquement une aristocratie élective, avec son cortège de malhonnêtetés et d’abus de pouvoir. Avec les élections, les riches gouvernent toujours, les pauvres jamais, assène Etienne Chouard."

- Le hasard, le tirage au sort dans le monde politique, dans le monde de l'entreprise et dans le domaine financier. "Le Hasard, martingale Boursière ?", par Pierre B., pour le journal Le Monde.

- "Tirage au sort en politique : la fausse bonne idée," Mediapart

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