Antilles / métropole: deux visions du Monde

Jeudi 6 février 2020, je quitte l'atmosphère sur-climatisé de la carlingue volante qui me dépose aux Antilles. Sur place, il est cinq heures plus tôt. Sur place, il fait chaud, très chaud: j'enlève mon pull qui commence à absorber ma sueur, et je rêve d’enfiler un short et de ranger mon pantalon. Belge d’adoption, j’ai récemment séjourné - seulement 10 jours - aux Antilles. Visuellement, le dépaysement fut saisissant: le soleil, la plage, le rhum à bas prix, la nourriture à très haut prix, etc. Culturellement, j’ai vécu un réel contraste. Ce qui m’a totalement déconnecté pendant cette période de vacances, c’est la façon dont les Antillais abordent la vie et conçoivent le Monde. Culture / modèle mentaux / et réflexion "pilier de comptoir" sont au programme de mon épopée antillaise, intéressé(e) ? 

Le voyage comme soupape de sécurité ! 

Voyager, c’est parfois fuir. Fuir son quotidien, fuir sa vie professionnelle et personnelle, fuir un état d’esprit, une culture. Voyager pour oublier, pour prendre du recul, pour se déconnecter, pour récupérer, pour recharger ses batteries. Voyager pour découvrir d’autres manières d’envisager et de percevoir le monde, pour apprécier d’autres manières de vivre, de côtoyer ses semblables. C’est fous de constater les objectifs que nous souhaitons atteindre en voyageant, en partant en vacances. Peut-être est-ce encore plus fous d’accepter tout ce que l’on endure dans notre vie de tous les jours et de mettre en place cette soupape de sécurité: le voyage ? Fuir les problèmes au lieu de les mettre à jour, de les discuter, de les affronter et de proposer d’autres alternatives.

#Différence anecdotique numéro 1: dire bonjour aux inconnus, c’est louche ! 

Vous vous souvenez de cette publicité pour une banque dans laquelle un petit garçon flâne dans la rue et clame, d’une voix enjouée: “bonjour ”, à des inconnus ? Tous, sans exception et sourires aux lèvres, lui répondent. Au fil des secondes, le gamin continu à déambuler dans la ville: plus il marche, plus il grandit, plus il vieillit. Il salue toujours de bon coeur les passants, mais les réponses se font de plus en plus rares. Arrivé à l'âge adulte, les promeneurs urbain cessent de lui répondre et regardent avec méfiance ce gamin devenu Homme: qui est-il ? que me veut-il ?
Aux Antilles, dans les rues, il n’est pas rare que des inconnus te disent bonjour. C’est normal, c’est poli, ça crée du lien.

#Différence anecdotique numéro 2: louer une voiture, ce n’est pas donnée à tout le monde ! 

En métropole, il y a deux ans, j’ai voulu louer une voiture dans le sud de la France. Mon problème: ma carte Mastercard n’affichait pas un solde créditeur sur mon compte courant qui satisfasse mon agence de location - pas assez de liquidité pour “garder en escroc” le montant de ma caution. L’empreinte de ma carte ne pouvant se faire, créatif, je suggérais d’autres solutions. De vaines tentatives: "non, monsieur, il n’y a aucune autre possibilité et vous ne pouvez pas retirer votre voiture."
Aux Antilles, de nouveau, cette histoire de caution est revenue polluer (me hanter ?) ma location de voiture. Je redoutais le verdict. J’ai été agréablement surpris d’entendre “pani pwoblem”, d’avoir une personne à l’écoute et que l’on me propose des alternatives. Envisagées, testées, l’une d’elles a été possible et j’ai pu louer ma voiture.

#Différence anecdotique numéro 3: de l’aide ? Pani pwoblem 

Aux Antilles, je souhaite me rendre en bus dans une ville précise. Souci: je ne trouve pas l’arrêt, et j’ai du mal à comprendre comment fonctionne le réseau autobus. Je m’arrête alors dans une boulangerie, vide de clients, et je demande ma route. L’employée prend du temps pour savoir où je souhaite aller, m’explique comment, et où se trouve l’arrêt en question. Au fur et à mesure de ses explications, la boulangerie se remplie: une, deux, trois personnes. Je m’en inquiète, je stress, j’ai l’impression de ressentir une impatience - car je suis habitué à ressentir une impatience dans ses moments là, en Belgique ou en France. Je me trompe ! Les clients écoutent et se mêlent à la conversation pour combler les explications de ma guide improvisée et afin d’être certain que le touriste que je suis trouve sa destination.

Des modèles mentaux différents: la Métropole et les Antilles, le contraste ! 

Entre la Métropole et les Antilles, la façon d’aborder le rythme de vie, les relations humaines, la culture, les modèles mentaux, les croyances, etc. est saisissante.
  • En métropole, le temps passe, et s’écoule vite. Chaque individu semble esclave du temps qui passe. Chaque individu semble courir après le temps: il faut le rentabiliser. Avec cette croyance: être productif, c’est être occupé, et être occupé c’est faire plusieurs choses en même temps. Le stress est palpable. Ce qui compte, c’est soi: pas la communauté. La méfiance et la peur régissent le rapport à l’autre. En métropole il y a beaucoup de procédures, de règles et y déroger est impensable - et à l’insolent qui pense passer outre le protocole, tout devient alors impossible ! "On n’y peut rien, c’est comme cela, je ne peux rien faire sans remplir ces champs, j’aimerai vous venir en aide, mais ces demandes viennent d’en haut, de l’autorité, des dirigeants, etc."
  • Aux Antilles, sans pour autant faire l’éloge de la lenteur, on semble vivre avec le temps - et pas contre le temps. Il y a des règles, des procédures, mais il y a avant tout des gens et des particularités. Partant, les contraintes s’assouplissent, l’expression créole "pani pwoblem" se fait entendre et des solutions sont trouvées. C’est une approche plus effectuale: on envisage la situation avec ce qu’on l’on a sous la main, on accueille les surprises, on travaille en collectivité / avec des partie prenantes, on pense perte acceptable, on prend la responsabilité des décisions, on modèle l’environnement, on agit selon nos compétences. Des visages avenants, des sourires, un tutoiement facile, un stress qui ne se fait pas ressentir. Un taxi ne part que s’il est rempli, un commerce affiche des horaires à titre indicatif, etc.
Bien entendu, des horaires flexibles, un taxi qui ne prend la route si et seulement si toutes les places assises sont occupées (et non pas à heure fixe), ce sont autant de situations qui peuvent heurter un badaud qui vit en métropole. Personnellement, j'ai vécu mon éphémère moment: mais quelle blague !

Métropole / Antilles, ce sont deux cultures, deux modèles mentaux qui s’expriment - et qui se confrontent, se critiquent, se jugent. Un modèle n’est pas mieux qu’un autre. Nous avons chacun des affinités pour l’un ou pour l’autre. Aussi, c’est un processus évolutif. Parfois, selon son chemin de vie, il est possible de bifurquer, de préférer une tendance à une autre. A titre personnel, je trouve l’approche antillaise séduisante. Et j’en viens donc à me poser ces questions: comment en sommes-nous arrivés là en métropole ? Comment avons-nous pu construire un système si désincarné, si éloigné des êtres humains ?  Si individualiste ? Si orienté: je n'ai pas confiance en mon prochain ?

Je ne sais pas si ce système a toujours été présent, ou s'il s'est peu à peu immiscé pour, finalement, s'imposer. Toujours est-il que vivre avec le temps, se mouvoir dans ses secondes qui défilent et ne pas se battre contre le tic tac du temps qui s'écoule est plaisant, plus respectueux des êtres humains. Un cadre plus flexible. Source de moins de stress. Que pouvoir compter sur les autres est bénéfique. Trouver un bon compromis entre notre individualité et la communauté peut-être une source d'épanouissement et de bien-être.
Tout cela me fait penser à l'ouvrage d’Hector Garcia et Francesc Miralles intitulé "Ikigai, les secrets des japonais pour une vie longue et heureuse". L'ikigai signifie "raison d’être", "joie d'être toujours occupé", et selon les natifs de l’île d’Okinawa, l’Ikigai est la raison pour laquelle nous nous levons chaque matin.

Un peu d'Ikigai ? Sens et raison d'être

Dans leur ouvrage, Hector Garcia et Francesc Miralles aborde une tradition présente sur l'île d'Okinawa, le Moai. Selon les auteurs, "le Moai est une tradition d’Okinawa, et destinée à établir des liens solides dans les communautés locales. Le moai est un groupe non officiel de gens aux intérêts communs qui s’entraident. Pour beaucoup, le service rendu à la communauté devient l’un de leurs Ikigai. L’origine des moais remonte au temps difficiles quand les agriculteurs se réunissaient pour échanger des informations sur les meilleurs méthodes de culture et la façon de se soutenir en cas de mauvaise récolte. Les membres d’un moai doivent verser une somme mensuelle préétablie qui leur permet d'assister à des réunions, des dîners, des parties de go, de shogi (les échecs japonais) ou de s’adonner à tout autre loisir en commun. L'argent est utilisé dans les activités et, s’il y en a trop, il est redistribué. Faire partie d’un moai permet de maintenir la stabilité émotionnelle et financière Si une personne du groupe rencontre des difficultés, on peut lui avancer la paie des économies du groupe. Ce sentiment d’appartenance et d’entraide procure une sécurité et contribue à augmenter l'espérance de vie."

Outre le Moai, les auteurs livres deux secrets de la bonne santé des japonais, qui sont:
  • "Entretenir l’amitié, respecter une alimentation légère, observer un repos suffisant et entretenir sa forme font partie de l’équation de la santé, mais au centre de cette joie de vivre, qui les pousse à franchir ls années et à continuer à les fêter chaque matin, se trouve l’Ikigai propre à chacun.
  • L’Hara hachi bu, qui signifie approximativement le ventre rempli à 80%. "Ne pas se gaver, la satiété use le corps par l'accélération de l’oxydation cellulaire, assortie d’une longue digestion."
Enfin, Hector Garcia et Francesc Miralles dévoilent les 10 lois de l’ikigai, selon la sagesse des centenaires d’Ogimi - île d’Okinawa
  • Restez toujours actif, ne prenez jamais votre retraite 
  • Prenez les choses calmement 
  • Ne mangez pas à satiété, et respectez l’hara hachi bu: mangez à 80% de votre faim 
  • Entourez-vous de bons amis 
  • Soyez en forme pour votre prochain anniversaire. Faites de l’exercice 
  • Souriez. Ne pas oublier le privilège d’être ici et maintenant dans ce monde plein de possibilités
  • Reconnectez-vous avec la nature, et rechargez-y les piles de l’âme 
  • Remerciez. Consacrez un moment de votre journée à remercier (la nature, vos ancêtres, votre compagnon, etc.) et vous augmenterez votre capital bonheur 
  • Vivez l’instant, cessez de vous lamenter sur le passé et de redouter l’avenir. Tout ce que vous avez est aujourd’hui. 
  • Suivez votre ikigai. En vous, il y a une passion, un talent unique qui donne du sens à vos journées et vous pousse à donner le meilleur de vous-même jusqu’à la fin. "« Celui qui a un « pourquoi » qui lui tient lieu de but, de finalité, peut vivre avec n’importe quel « comment »," Nietzsche

#Différence anecdotique, bonus. Et les églises: le côté spirituelle pour les Antilles et le côté scolaire pour la Métropole ! 

  • En métropole les églises me font peur. Lugubre, sombre, froide, elle m’inspire plus qu’une parole, une autorité divine, un ordre établi qui s’applique sans concession à tous, un côté solennel et indérogeable que je sens peser sur mes épaules. L'atmosphère qui se dégage des églises m'oppresse. Une absence de libre arbitre, de choix. Les églises, édifices de savoir et de règles indiscutables, semblent incarner les écrits: écoute mes mots et répète-les sans réfléchir: c’est la vérité. 
  • Aux Antilles, les églises sont belles et accueillantes. Des bâtisses ouvertes, éclairées par des chandeliers en verre, avec des murs clairs et des représentations divines, peintures et sculptures, avenantes. Même les cimetières sont accueillants: face à la mer, tout en blanc, et fleurie. C’est comme si, aux Antilles, les églises incarnaient la philosophie qui se cache, en filigrane, dans les écrits religieux. Les textes ne sont rien face aux messages qu’ils transmettent. Seules les intentions, les valeurs, sont à comprendre et à intégrer. Amour, compassion, harmonie, etc. 
 C’est du moins mon ressenti - sans avoir ni écouté une messe, ni fait de recherches.

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