Soufi mon amour: abandonner un avenir pour le moment présent

Il est des rencontres qui changent une vie, la re-dessine, la re-dirige, la revigore ; comme la lecture d’un livre. Dans "Soufi mon amour", de l'écrivraine Elif Shafak, deux histoires se mêlent: celle d’Ella qui traverse une crise de sens, et l’incroyable rencontre initiatique entre Rûmî, poète persan du XIIIe siècle, et Shams de Tabriz, derviche errant, adepte du soufisme. Un magnifique roman, plein de sagesse, qui nous emmène sur les chemins du cœur, la beauté du moment présent, le refus des conventions et la richesse de l’amour. Un livre qui soulève beaucoup de questions, qui émerveille, qui donne le sourire, qui interroge nos cadres de vies, notre façon de vivre, notre regard sur le monde...Ressassez le passé, pensez à l'avenir, courir après le temps, être en dehors du temps, le subir, se sentir happé par le tic tac du Monde: et si nous redevenions tous des enfants de l'instant présent ?

Hier, j'étais intelligent et je voulais changer le monde. Aujourd'hui, je suis sage et je me change moi-même, Rumi


Ella a quarante ans et mène une vie confortable. Un mari aimant. Des enfants. Un chien fidèle. Une maison. Aucun souci financier. D’apparence le cadre semble idyllique. 
A cette idylle s’ajoute la récente prise de fonction d’Ella en tant que lectrice pour une grande maison d'édition. Sa première mission est la lecture du manuscrit "Doux blasphème" d’un certain A.Z. Zahara. Comme l'écrit A.Z. Zahara en quatrième de couverture de son ouvrage: "L'histoire que je vous envoie se déroule au XIIIe siècle à Konya, en Asie Mineure. Mais je crois sincèrement qu'elle traverse les pays, les cultures et les siècles. Un roman historique et mystique sur le lien exceptionnel qui lia Rumi, le plus grand poète et le chef spirituel le plus révéré de l'histoire de l'islam, et Shams de Tabriz, un derviche inconnu et peu conventionnelle, objets de scandales et de surprises."
Une lecture qui va radicalement changer la manière dont Ella voit le Monde, et sa réalité. "Il suffit de savoir qui on est pour que tout aille au mieux, sachant que d’une minute à l’autre on peut changer d’être et d'apparence," Christian Bobin 

Ci-dessous, vous trouverez quelques morceaux choisis, quelques citations, non pas de “Doux blasphème”, mais de “Soufi mon amour” d'Elif Shafak.

De notre quête de complétude: nous sommes une oeuvre d'art incomplète qui s'efforce de s'achever 


Et si nous naissions incomplets ? Et si l’un des objectifs de notre existence était de rassembler les pièces de notre puzzle de vie ? 

"Peu importe qui nous sommes et où nous vivons, tout au fond, nous nous sentons tous incomplets. C’est comme avoir perdu quelque chose et éprouver la nécessité de le retrouver. Quel est ce “quelque chose” ? La plupart d’entre nous ne le découvriront jamais. Et parmi ceux qui y parviennent, plus rares encore sont ceux qui partent à sa quête." (Elif Shafak)

Et comme le secret de l’action, c’est de s’y mettre, d’où cette suggestion d'Elif Shafak :"Ne te demande pas où la route va te conduire. Concentre-toi sur le premier pas. C’est le plus difficile à faire."(Elif Shafak)

Et comme la vérité n’est pas un sentier balisé, mais un chemin sinueux, au poète Rumi de rajouter: "Trouvez les personnes qui illumineront votre chemin. Ignorez ceux qui vous rendent effrayés et tristes , qui vous entraînent vers la maladie et la mort. Mettez votre vie en feu. Cherchez ceux qui attiseront les flammes." 

De l’humilité et du changement: où est la Vérité ? 


Qui détient la Vérité ? Tout le monde, et sans doute personne. Chacun possède sa perception de la Vérité, selon sa perception du Monde. Voyons-nous vraiment le Monde ? Voyons-nous pleinement le Monde ? Voyons-nous le Monde tel qu’il est ? Ou voyons-nous le Monde tel que nous sommes ? Comme l’écrit poétiquement Rumi: “La vérité était un miroir dans les mains de Dieu. Le miroir est tombé et s'est brisé en éclats. Chacun en a pris un morceau, l'a regardé et a cru que c'était la vérité” 

Chaque rencontre est potentiellement essentielle et riche d'enseignement."L'humilité consiste aussi à reconnaître que n'importe quelle créature dans l'Univers est susceptible de nous enseigner ce que nous ignorons."(Elif Shafak)

Ecouter, c'est apprendre. Questionner, c'est se surprendre, dépasser ses croyances et ses certitudes. "Un homme qui a beaucoup d'opinions mais aucune question ! Il y a quelque chose qui ne va pas." (Elif Shafak)

"Si tu veux changer la manière dont les autres te traitent, tu dois d'abord changer la manière dont tu te traites. Tant que tu n'apprends pas à t'aimer, pleinement et sincèrement tu ne pourras jamais être aimée. Quand tu arriveras à ce stade, sois pourtant reconnaissante de chaque épine que les autres pourront jeter sur toi. C'est le signe que bientôt tu recevras une pluie de roses." (Elif Shafak)

Spiritualité / Religiosité, deux notions bien différentes 

 Je n'appartiens à aucune religion. Ma religion est l'amour. Chaque cœur est mon temple, Rumi 

Spiritualité & religiosité, est-ce la même chose ? Y-a-t-il une nuance à effectuer ? C’est Christian Bobin, dans son ouvrage "Autoportrait au radiateur", qui écrit : "je n'aime pas le mot "religieux". Je lui préfère le mot "spirituel". Est spirituel ce qui, en nous, ne se suffit pas du monde, ne s'accommode d'aucun monde. C'est quand le “spirituel” s'affadit qu'il devient du religieux” "

"Vous pensez que je suis pieux. Je ne le suis pas. Je suis spirituel. C'est différent. Il ne faut pas confondre religiosité et spiritualité, et le fossé entre les deux n’a jamais été aussi profond qu’aujourd’hui. Quand je contemple le monde, je vois un dilemme qui s’aggrave. D’un côté, nous croyons à la liberté et au pouvoir de l’individu indifférent à Dieu, au gouvernement ou à la société. De bien des manières, les êtres humains sont de plus en plus égocentriques et le monde devient plus matérialiste. D’un autre côté, l'humanité dans son ensemble se tourne de plus en plus vers la spiritualité. Après s'être reposé sur la raison pendant si longtemps, on dirait qu’on a atteint un point où nous reconnaissons les limites du cerveau." (Elif Shafak)

"Le problème avec la foi, c'est que souvent, absorbé par les arbres, on est incapable de voir la forêt. La totalité de la religion est bien plus grande et plus profonde que la somme des parties qui la composent. Chaque règle doit être interprétée à la lumière de l'ensemble. Et l'ensemble est dissimulée dans son essence."(Elif Shafak)

"Toutes les guerres de religion étaient par essence un problème linguistique. Le langage cachait plus de vérité qu’il n’en révélait ; en conséquence les gens ne cessaient de mal se comprendre, de mal se juger. Dans un monde semé de traductions erronées, rien ne servait d’être déterminé sur un sujet ou un autre, car il se pouvait que même nos convictions les plus fortes soient les conséquences d’une simple erreur d'interprétation. En règle générale, personne ne devait être trop rigide sur quelque sujet que ce soit car vivre signifiait changer constamment de couleur." (Elif Shafak)

De la difficulté à vivre le moment présent 

Passé, présent, futur ; la découpe du temps est connue. Est-elle pour autant pertinente ? Est-elle fondée ? Il y a des minutes qui durent des heures, et des heures qui s'égrainent en quelques secondes. Un temps relatif, donc, et un temps qui peut nous emprisonner, nous empêcher de voir les petits bonheurs de la vie. Sommes-nous trop pressées ? Prenons-nous le temps de vivre le moment présent ? Prenons-nous le temps de savourer chaque instant...

"Le passé est un tourbillon. Si tu le laisses dominer ton présent, il t'attirera vers le fond." (Elif Shafak)

"Le temps n'est qu’une illusion. Ce qu’il faut, c'est vivre l’instant présent. C’est tout ce qui compte. Le passé est une interprétation. L'avenir est une illusion. Le monde ne passe pas à travers le temps comme s’il était une ligne droite allant du passé à l’avenir. Non, le temps progresse à travers nous, en nous, en spirales sans fin. L’éternité ne signifie pas le temps infini mais simplement l’absence de temps. Si tu veux faire l’expérience de l'illumination éternelle, ignore le passé et l’avenir, concentre ton esprit et reste dans le moment présent." (Elif Shafak)

Et si nous étions tous connectés, tous interconnectés ? 

Chacun aime des parties de lui-même, et en rejette d'autres. Chacun d'entre-nous possède une part de lumière (tous nos beaux aspects, nos critères inspirants) et une part d'ombre (ces parties moins glorieuses, ces comportements et pensées que nous ne souhaiterions pas avoir et qui peuvent nous faire honte). Justement, qu'en est-il quand émerge, parfois bien malgré nous, nos côtés blessés, imparfaits, inadéquats, nos émotions que nous n’aimons pas avoir - et que nous éprouvons quand même ? Nous pouvons être en contact avec nos blessures, mais nous ne sommes pour autant pas des personnes blessées. Nous sommes des êtres complexes façonnés dans l’imperfection de nos blessures intérieures. Des êtres parfaitement imparfaits. Il est donc nécessaire d’avoir de la bienveillance pour nous-mêmes - et d'accueillir nos parties moins glorieuses. Bref, de cultiver l’Amour de Soi, tel que nous sommes avec tous nos aspects, et pas seulement tel que nous aimerions être à chaque instant. Nous sommes un tout...

"Tout l’univers est contenu dans un seul être humain: toi. Tout ce que tu vois autour de toi, y compris les choses que tu n’aimes guère, y compris les gens que tu méprises ou détestes, est présent en toi à divers degrés. Ne cherche donc pas non plus Sheitan hors de toi. Le diable n’est pas une force extraordinaire qui t’attaque du dehors. C’est une voix ordinaire en toi. Si tu parviens à te connaître totalement, si tu peux affronter honnêtement et durement à la fois tes côtés sombres et tes côtés lumineux, tu arriveras à une forme suprême de conscience. Quand une personne se connaît, elle connaît Dieu." (Elif Shafak)

"L’univers est un seul être. Tout et tous sont liés par des cordes invisibles en une conversation silencieuse. La douleur d’un homme nous blessera tous. La joie d’un homme fera sourire tout le monde. Ne fais pas de mal. Pratique la compassion. Ne parle pas dans le dos des gens, évite même une remarque apparemment innocente. Les mots qui sortent de nos bouches ne disparaissent pas, ils sont éternellement engrangés dans l’espace infini, et ils nous reviendront en temps voulu." (Elif Shafak)

La maison d'hôte de Rumi...



"Être humain, c'est être une maison d'hôtes. 
Tous les matins arrive un nouvel invité. Une joie, une dépression, une méchanceté, une prise de conscience momentanée vient comme un visiteur inattendu. 
Accueillez les tous et prenez-en soin! 
Même s'ils sont une foule de chagrins, qui balaient violemment votre maison et la vident de tous ses meubles, traitez chaque invité honorablement. Peut-être vient-il faire de la place en vous pour de nouveaux délices. 
La pensée sombre, la honte, la malice, rencontrez-les à la porte en riant, et invitez-les à entrer. 
Soyez reconnaissants pour tous ceux qui viennent, parce que chacun a été envoyé comme un guide de l'au-delà," Rumi

Source, et à lire: "Soufi, mon amour", Elif Shafak, Ed: 10/18, août 201, 474 pages

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