Une question de mort et de vie, Marylin et Irvin Yalom: un deuil, une vie, un processus et une histoire

Y-a-t-il une vie après la mort ? Dans “Une question de mort et de vie”, Marylin et Irvin Yalom, chapitre par chapitre, se partagent la plume afin de narrer dans un ouvrage collectif une fin, et un début. La fin: c'est la mort annoncée de Marylin atteinte d'un cancer. Le début: c’est la vie d’Irvin après la mort de sa compagne, avec qui il partage sa vie depuis plus de 70 ans. Y-a-t-il une vie après la mort ? Oui, dans les souvenirs de nos amis, de nos collègues, de nos proches, etc. Nous sommes tous des gardiens des souvenirs du passé. Et au fil des années qui passent les âmes se meurent, et bientôt les gardiens des souvenirs de notre passé se font de plus en plus rares. Ceux qui restent ont la lourde tâche de se rappeler une vérité. Une vérité qui, comme les murs d’une vieille maison, s'effritent. Des pans entiers qui, parfois, s'écroulent. 

Nous savons l'un et l'autre que la maladie risque d'emporter Marilyn dans les mois à venir. Nous allons tenir ensemble le journal de ce que nous allons vivre, dans l'espoir que notre expérience et nos observations permettront, à nous et à ceux qui nous liront, de lui donner un sens et d'aider à la supporter. 

Nous sommes façonnés par ceux que nous aimons et par ceux que nous détestons ; et rien d'autre. Chacune de ces personnes reflétant nos parts d’ombre et de lumière, nos côtés que nous aimons et ceux que nous aimons moins. Chacune de ces personnes partageant notre passé. 

En se baladant sur l’étroit sentier de notre mémoire, l'on découvre, parfois, un faisceau de lumière. Impalpable. Qui nous réchauffe. Qui appuie comme sur un bouton lecture de notre cerveau. Qui nous réconforte d’un récit. Ce récit est un souvenir partagé. Partagé avec qui ? 
Avec ceux qui étaient présents, bien entendu. Notre famille, nos proches, nos connaissances, etc. sont les gardiens des souvenirs de notre passé ; et nous du leur. 

Un souvenir c’est comme un miroir qui serait tombé au sol et qui se serait brisé en petits morceaux. Chacun détenant une partie de la vérité, du souvenir de ce qui fût. Chacun devenant un gardien du passé. 

Lorsque les gardiens s’en vont, leurs pièces du puzzle disparaissent, elles aussi, à jamais. Le miroir devient alors incomplet, et bientôt il disparaîtra. 

Dans une question de mort et de vie, Marylin et Irvin Yalom écrivent à quatre mains un ouvrage de fin et de début de vie. Marylin n’a que peu de temps à vivre et oblige Irvin à s’associer à ce projet d’écriture. Un projet qu’Irvin continuera seul. Un projet qui lui permettra d’affronter son deuil. 
S’il y a bien un livre qui peut changer une vie, pour Irvin, c'est bien celui-là. Un livre qui le raccroche à sa bien-aimée Marylin, tout en la quittant. Peu à peu...

Après toutes les années épanouissantes que j'ai vécues avec Irvin et la bonne santé dont j'ai joui la plupart du temps, quelle raison aurais-je de poursuivre une existence de souffrance et de désespoir quotidiens ? La réponse est simple ; c'est qu'il n'y a pas de méthode pour mourir facilement. 

Pour que la mort soit vraie et réelle il faut qu’en plus d’être vraie et réelle, elle entre dans notre vie, dans notre conscience. Que nous l'intégrions, concrètement. Après la mort de Marylin, Irvin continue d’écrire l’ouvrage commencé à deux. Et nous raconte sa période de deuil, faite de déni, d’acceptation, de colère, de tristesse, de dépression, d'abandon, de remise en question, de sursaut. 
Regarder un film, lire un livre et se dire: je vais en parler avec Marylin…et mettre un temps avant de constater que ce n’est plus possible. Sans parler de tous ces rendez-vous anniversaires qui passent et que nous fêtons, seul. 

Ce qui me terrifie le plus dans la mort, ce n’est pas la perte de l’avenir ; c’est la perte du passé. En réalité, l’oubli est une forme de mort toujours présente à l’intérieur de la vie, Milos Kundera. 

Pour ne pas que les mots (maux) hurlent au fond de son âme, Irvin les couche consciencieusement sur le papier. Et noircit des pages et des pages afin de partager son processus de peine, de deuil. Un voyage sans chemin balisé ; mais avec une fin. 

Une vie pleinement vécue. De toutes les argumentations qui me permettent de réconforter des patients qui ont peur de mourir, la plus puissante pour eux est celle de ne pas regretter la vie qu'ils ont vécue. 

Moins on a vécu sa vie, plus on a peur de la mort. Ni Irvin, ni Marylin ne regrettent leur vie. Une question de mort et de vie est un livre troublant: quelle trace laissons-nous une fois que nous ne sommes plus ? Une question de mort et de vie est un livre triste, et beau. 

"Il y a deux mille ans, Sénèque écrivait: “Un homme ne peut pas être prêt à mourir s’il n’a fait que commencer à vivre. Nous devons nous donner pour but d’avoir déjà suffisamment vécu.” Nietzsche, le plus puissant des auteurs d’aphorismes, a dit qu’il est dangereux de vivre à l’abri. Un autre de ses aphorismes me revient à l’esprit: “Beaucoup meurent trop tard, et quelques-uns meurent trop tôt.” Encore étrangement sonne cette leçon: “A la bonne heure sache mourir.” (...) Tout ce qui s’est accompli; tout ce qui est mûr veut mourir. Mais tout ce qui n’est pas mûr veut vivre: hélas.” 

"Je sais que je continuerai d’exister sous une forme impalpable dans la conscience de ceux qui m’ont connu ou qui ont lu mes livres mais, d’ici une à deux générations, tous ceux qui m’auront connu en chair et en os auront disparu (...) Et à Irvin de se rappeler les premières lignes de l'autobiographie des Nabokov: “Le berceau se balance au-dessus d’un abîme, et le sens commun nous apprend que notre existence n’est que la brève lumière d’une fente entre deux éternités de ténèbres.” Cette image stupéfie et calme."

Source: Une question de mort et de vie, Irvin D. Yalom / Marilyn Yalom, Albin Michel, octobre 2021, 313 pages

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