Consommation collaborative: les différentes vies d’un livre

« Érudition. Poussière tombant d’un livre dans un crâne vide, » Ambrose Bierce 

Tous ces kilomètres de papiers déchiffrés au fils des ans. Elle en impose, cette vaniteuse et érudite bibliothèque en bois. Cet antre de la culture. Ce temple du savoir. Noble, et poussiéreuse. Rustique, et distinguée. Son problème, elle est figée. Moribonde. Et si ce cimetière des livres oubliés se transformait en un lieu de vie perpétuel, où chaque bouquin est une éternel découverte ? Une bibliothèque des Danaïdes, sans fond, dans laquelle chaque livre rangé deviendrait mécaniquement un ouvrage non lu. Comment concrétiser ce miracle ? Par une vieille recette: par le troc, par la consommation collaborative. 

De l’adoption de livres. Le « book crossing » consiste à abandonner un livre dans un lieu public, afin qu’un quidam le trouve, le lise, et l’abandonne à son tour. Une façon pour l’ouvrage de voyager, une manière de faire circuler la culture. Sur le web, il est dorénavant possible de suivre sa progression.
Mouvement des animistes-lecteurs: un livre, un arbre, son sacrifice et sa rentabilisation. Pour les Bag Packer’s, une coutume est aussi de laisser dans les auberges de jeunesse les livres lus pendant leurs périples, en les signant et en indiquant une date. Néanmoins, si votre romantisme vous interdit un tel abandon, des sites de dons et d’échanges de livres existent sur la Toile. Vous avez Booktroc, ou Biglib, ou pochetroc, ou troctonlivre, etc.

Économique, et écologique: sauvons des arbres, échangeons nos livres. Même si la plupart de ces sites sont gratuits, quelques uns demandent une modeste participation, afin de couvrir les frais de fonctionnement. Certains arborent des publicités, d'autres s’affilient avec des grosses structures, comme Amazon, afin de proposer l’achat de livre neuf. 
Cependant, tous fonctionnent via un système de monnaies alternatives. Chaque livre est encodé par le troqueur grâce à son numéro ISBN, qui permet de récupérer toutes les informations techniques de l’ouvrage: taille, poids, quatrième de couverture, etc. A cette mise à disposition du bouquin, un nombre de point lui est attribué: 1, 2, etc. Si une personne est intéressée par l’un d'eux, vous recevez une notification. A charge pour vous de l’envoyer, et d'encaisser sa valeur faciale.

Ce mode de consommation, dites collaborative, c’est une économie souterraine, une fraudescandent ses détracteurs. Uber, le service de covoiturage urbain, s’est, par exemple, attiré les foudres des chauffeurs de taxi en France, en Belgique, etc: il serait une concurrence déloyale, non soumis à la stricte réglementation nationale. Tandis que Airbnb, service de location de logement entre particuliers, se heurte aux courroux des hôteliers. Comme à New-York, l'explique mashable.

Tu as une chose à enseigner, pleins de choses à apprendre. La consommation collaborative, c'est rendre les gens compétents, c'est croire et investir en eux, en leur capacité d’entre-aide, leur donner une responsabilité, les faire exister, leur donner un sentiment de satisfaction,  « c’est une force économique et culturelle puissante, qui ne réinvente pas seulement ce que l'on consomme, mais la manière dont on consomme, » dispose Rachel Botsman, Sharing Innovator, avant de rajouter: « Maintenant on sait de façon rationnelle qu'une économie basée sur l'hyper-consommation est une chaîne de Ponzi; c'est un château de cartes. » Cette révolution n’est pas arrivée avec de nouveaux outils, mais avec de nouveaux comportements. 

La personne de l'année, c'est « Vous », dispose le magazine Time en 2006. Les médias sociaux ont fourni à cette invisible économie de l'entre-aide, du don, une organisation élégante afin qu'elle puisse sortir de l'ombre et toucher un public bien plus large. Dans ce nouveau paradigme, le consommateur n'est plus passif. Il devient producteur, et il le fait pour s'amuser, par passion, par curiosité intellectuelle.

Selon Rachel Botsman, il existe trois principaux systèmes de consommation collaborative. « Le premier est la redistribution des marchés. La redistribution des marchés c'est quand on prend un objet d'occasion, de seconde main et qu'on l'enlève de là où il n'est pas désirable pour le mettre là, ou chez qui il l'est. Ils sont de plus en plus considérés comme le 5ème "R" -- réduire, réutiliser, recycler, réparer et redistribuer --parce qu'ils étendent le cycle de vie d'un produit et par conséquent réduisent les déchets. »

« Le deuxième est le style de vie collaboratif. C'est le partage des ressources et des choses telles que l'argent, les compétences et le temps. » C'est le couchsurfing, le partage de terre, le financement collaboratif, etc.

« Et le troisième système c'est celui des services de produit. C'est lorsque vous payez pour les bénéfices du produit, ce qu'il vous apporte, sans avoir à posséder le produit en lui-même. Cette idée est particulièrement puissante pour les choses qui ont une grande capacité de non-utilisation. » Comme votre voiture, votre perceuse électrique, etc. « La location de voiture entre particuliers, qui coûte en moyenne 5 700 € par an à posséder et entretenir, » est une forme de réduction de la gabegie : « des objets coûteux qui étaient utilisés seulement 10% du temps, le sont maintenant 15 ou 20 %. Néanmoins, il est vrai que le gaspillage produit de l’activité économique, » explique Paulin Dementhon dans le Journal du Net.

La consommation collaborative est basée sur la confiance. Chaque individu thésaurise, au fils de ses activités, un capital de réputation. Et c'est ce capital de réputation qui « déterminera son accès à la consommation collaborative. C'est une nouvelle monnaie sociale, pour ainsi dire, qui pourrait devenir aussi puissante que notre indice de solvabilité. »
Au XXème siècle, la fortune était le fait d'entreprises organisées « verticalement ». Le XXI ième, sera-t-il le sacre de la création de richesses par des structures horizontales ? L'ère de la propriété partagée ?  De la propriété éphémère ? Parfois, la temporaire possession peut-être préférée à la propriété ad vitam aeternam, celle qu'on oublie, celle qui prend la poussière, celle qui ne se renouvelle pas. 

 

Pour aller plus loin:

- De l’épuisement des droits. C’est une règle. Après un premier achat, les détenteurs des droits, comme les éditeurs, ne peuvent s’opposer à un don, à un prêt ou à la revente d’un livre, objet physique ( notons qu’en terme de droit, et plus exactement de droit de propriété littéraire et artistique, on sépare le contenu, immatériel, soit l’écrit, du contenant, le livre). Néanmoins, cet épuisement des droits dans le monde numérique n’existe pas. D’ailleurs, les plateformes de distribution numérique ne se contentent souvent de ne fournir qu’une licence d’utilisation de l’œuvre achetée. Pour en savoir plus, cliquez ici !


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