Le travail et la notion de sens: une quête absurde ?

Chercher un sens à son travail. Trouver une explication dans ce que l'on fait et pourquoi on le fait. Et si le travail n’avait tout simplement pas de sens ? 

Chercher une histoire qui plaît et à laquelle se raccrocher, irrésistiblement. Dénicher un dessein dans un chaos. Dégoter une structure dans un nuage de points informe et aléatoire. Et si tout cela était vain ? Et si ce sens n’était que distraction afin de ne pas voir et constater l'absurdité ambiante ? 

Comment trouver du sens et se réjouir d'être brutalement arraché de son sommeil à 7 heures du matin par le son d’une alarme stridente, taper sur son réveil, bondir hors de son pieux, aller pisser, boire un verre d’eau tout en mangeant sans plaisir et sans conscience une tartine, un croissant ou un pain au chocolat, prendre une douche, s’habiller, se brosser les dents, se coiffer, se parfumer, courir dans la rue avec son mug de café chaud pour choper son transport en commun et jouer des coudes pour s’y frayer une place, sentir la transpiration de ses congénères - les zombies-travailleurs - et n’y croiser que des têtes baissés zieutant leur smartphone, et finalement arriver sur son lieu de labeur afin de produire de l’oseille pour des personnes qui te demandent d’être reconnaissant d’avoir cette belle opportunité et revenir chez soi à 20 heures ? 

"Personnellement, je n’ai jamais rencontré quelqu’un qui m’a dit : « Chouette ! Demain, je vais aller travailler ». Le travail, parfois (allez, souvent même), renvoie plutôt à une activité pénible qu’on se retrouve obligé de faire," explique Albert Moukheiber, psychologue et neuroscientifique 

"Désormais, nous assistons à une inversion de la charge selon laquelle ce n’est plus l’individu qui doit trouver un sens à sa vie, mais son entreprise qui lui impose un sens. La preuve ? Tous ces slogans absurdes qui parcellent la surface marketing des boîtes que vous retrouvez dans le métro ou sur vos fils Instagram. Aujourd’hui, une société qui fabrique des sweats à capuche va soumettre un slogan inspiré, comme si elle avait trouvé le sens de l’existence. 

Le bullshit pseudo-profond


"Le bullshit pseudo-profond, voilà comment le chercheur en sciences cognitives canadien Gordon PennyCook a théorisé le mal de l’époque. Ce non-sens représente des phrases, des injonctions qui ont l’allure de la profondeur mais qui se révèlent être dénuées de sens. La question que l’on pourrait se poser serait alors : « Cette quête de sens permanente avec laquelle on nous bassine toute la journée ne serait-elle pas un grand bullshit pseudo-profond ? ». Comment trouver du sens dans un boulot alimentaire ? Comment trouver du sens lorsque je travaille dans une grande entreprise qui produit du greenwashing toute la journée ?"

"Ce « bullshit pseudo-profond » est en train de nous déculpabiliser, de nous déresponsabiliser. Il nous détourne même du véritable sens qui voudrait que nous affrontions de nombreux challenges hyper légitimes comme la lutte contre les discriminations et les inégalités sociales ou le combat - immense - contre le dérèglement climatique. Cette injonction à devoir trouver du sens à la vie grâce à notre travail se révèle alors être une sorte d’excuse, provoquée encore une fois par cette inversion de la charge selon laquelle nos boulots prennent une place centrale dans nos vies alors que pour beaucoup d’entre nous, le taf, c’est juste un truc obligatoire pour pouvoir faire autre chose à côté. Ne devrait-on pas abandonner cette quête permanente au bullshit pour pouvoir réaliser autre chose de plus légitime ? Je suis persuadé que nous arriverons à faire quelque chose de plus utile si nous travaillons moins." 

Pour aller plus loin, et contredire: Ikigai et la métaphore du tailleur de pierre


> Ikigai: quête de sens et désir

Pourquoi nous nous levons chaque matin ? Pourquoi travaillons-nous ? Qu'est-ce qui nous anime ? Qu'est-ce qui nous motive ? Pour les japonais, la réponse se trouve dans l'Ikigai, et sa satisfaction. Ikigai est donc un terme japonais qui signifie "Raison d'être / Joie de vivre". 

"Choisis un travail que tu aimes, et tu n'auras pas à travailler un seul jour de ta vie," Confucius. Selon la culture nippone, chacun de nous possède un Ikigai caché - et sa révélation exige une longue et profonde recherche. Une lente et lancinante introspection. Concrètement, l'Ikigai se trouve à l’intersection entre la passion, la mission, la vocation et la profession de chacun d'entre-nous. En lire plus !

> La métaphore du tailleur de pierre: trouver du sens dans l'objectif final

Un voyageur voit sur le bord de la route un homme qui casse des cailloux à grands coups de marteau. Son visage est terne. 

"Monsieur, que faites-vous ?," demande le voyageur. "Vous voyez bien," lui répond l’homme. Je taille dûrement des pierres toute la journée. Je suis un tailleur de pierre."

Un peu plus loin, le voyageur aperçoit un autre homme qui, lui aussi, casse des cailloux. Toutefois, son visage est calme et expressif et ses gestes sont harmonieux. 

"Que faites-vous, monsieur ?," lui demande le voyageur. "Je taille une pierre pour construire un mur," lui répond-il. 

Plus loin, un troisième casseur de cailloux respire le bonheur. Il sourit et regarde avec plaisir les éclats de pierre qui volent à chacun de ses coups de marteau. 

"Que faites-vous ?," lui demande le voyageur. "Moi ? Je bâtis une cathédrale !"

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