Course aux abonnements, vente couplée et produit plus

C’est comme agiter une madeleine de Proust devant le consommateur, le transformant en enfant devant un sapin de noël. Les yeux écarquillés, pleins de promesses: « Un sac de voyage Eastpak offert pour 6 mois d’abonnement », « Une montre Swatch gratuite pour toute souscription de 3 mois ». Le cœur s’emballe, les pupilles se dilatent, l’esprit s’embrume et l’achat d’impulsion survient. Mais pourquoi au juste ai-je souscris à un abonnement ?, se demande t-il enfin.
Cabu, Le Canard, 14/08
Le futur lecteur a t-il acheté le journal pour son contenu, ou pour le cadeau annexé ? Deviendra t-il vraiment un lecteur régulier ? Aussi, quelles sont les bénéfices pour l’entreprise de presse ?
Osons les pléonasmes ! Ce que gagne l’entreprise de presse, c’est d’abord un « client » habituel. Entrel’imprévisible lecteur occasionnel et le constant abonné, le choix est vite enterriné. L’abonné stabilise la trésorerie. Vulgairement, 100 abonnés à 10 € l’abonnement pour un an font toujours 1000 € dans les caisses pour une année.
Mais le recrutement d’un abonné n’est pas vierge de toute contrepartie financière. Pour chaque opération menée, « vente couplée » notamment afin de « racoler » des abonnés, nous avons un coût d’acquisition. Ainsi, la nouvelle recrue n’est pas de suite rentable. Le but est alors de la fidéliser ; de transformer ce chaland de manière pérenne en abonné.
Outre gonfler sa diffusion, l’entreprise de presse récolte des informations utiles sur ces derniers. Age, profession, lieu de résidence, etc. sont autant d’informations que le journal peut vendre aux annonceurs qui souhaitent au mieux cibler une campagne publicitaire. Même si elle cherche à se diversifier et à trouver de l’argent frais ailleurs, la publicité reste pour elle une manne financière non négligeable. ( cf notre article sur le double marché )
Question naïve: si le chaland n’est devenu abonné que pour bénéficier du lot, verra-t-il ces annonces publicitaires ? Semblant de réponsecomme le clamait au XXème siècle John Wanamaker, considéré comme l’un des pionners du marketing: « la moitié de l’argent que j’investis ne me rapporte rien. Mais le problème, c’est que je ne sais quelle moitié. »
Cependant, ne croyez pas que les journaux sont laissés en total liberté. Qu’ils peuvent à loisir jouer de leur tarif d’abonnement. L’Office de Justifcation de la Diffusion (OJD) veille au grain. Ne pensez pas que ce contrôle soit vain. Pour connaitre la réelle diffusion d’un journal / magazine, les annonceurs se fixent éperdument sur les publications de l’OJD. Une des règles est que: « Seuls sont pris en compte comme abonnements payés, ceux qui ont été réglés à un prix qui n’est pas inférieur à 50% de celui porté sur la publication. » (page 7, règlement de l’OJD, plus d’infos, cliquez ici !). En deçà, ils n’entrent donc pas dans la comptabilisation de la diffusion.
Toutefois, si l’on additionne le prix de l’abonnement et du cadeau annexé, nous pouvons nous demander comment certains magazines / journaux se jouent de la règle imposée par l’OJD ? Tout simplement en faisant porter sur le cadeau la remise afin que le prix de l’abonnement reste au dessus de la fatidique barre des 50 %…
Petite précision: la loi française interdit la vente avec prime (article L 121-35 du Code de la consommation ). Seul une dérogation est accordée si la prime, soit la babiole offerte, ne pas dépasse pas 7 % de la valeur de l’offre globale. Ce qui, à la vue des prix des journaux et magazines, est vite dépassé. C’est pourquoi l’on passe par la vente couplée.
Soin palliatif et diversification: les produits plus.
Thierry Darriet, flickr
Le produit plus est l’article (BD, livre, CD, etc.) que vous pouvez acquérir à un taux préférentiel si vous achetez votre journal.
Plus qu’une broutille, ce produit plus peut avoir une réelle cohérence avec le titre de presse. Il peut accompagner un dossier rédactionnel, une date anniversaire, un évènement, devenir un pôle « pour aller plus loin ». Il faut aussi le voir comme un service qui est offert aux lecteurs. Un guide. Un conseil. L’actualité du moment est centrée sur les paradis fiscaux ; votre journal s’en fait l’écho. Il vous donne les clefs pour comprendre, pour vous éclairer, pour que vous vous fassiez votre propre opinion. Cependant, il ne peut aborder dans les moindres détails le concept des paradis fiscaux. Par conséquent, pourquoi ne pas proposer un livre sur le sujet ? Que votre journal devienne un prescripteur et vous renvoie à la lecture, en l’espèce, du livre de Nicholas Shaxson (pour découvrir cet ouvrage,cliquez ici ! )
Le produit plus permet déjà d’augmenter la diffusion du journal. Plus l’article est attrayant, plus vous avez de chance de convaincre (obliger ?) des non-lecteurs à acheter (et découvrir ?) votre journal ou magazine. Alors, la succession de produits plus permet de maintenir artificiellement la diffusion d’un titre de presse.  A ce soin palliatif, qui booste la diffusion, s’ajoute également une forme de diversification. La vente des articles génère un chiffre d’affaire (CA).
On ne le dira jamais assez, l’information de qualité a belle et bien un coût. A chacun d’apprécier cette qualité. Personnellement, je peux avouer acheter chaque semaine Le Canard enchainé, un des seuls titres de presse bénéficiaire en France. Qui plus est, ne vivant que grâce à ses lecteurs: le journal est un hebdomadaire satirique en noir et blanc n’ayant aucune pub.
Pour aller plus loin
- Malheureusement, pour la cohérence entre l’identité du journal et les produits proposés, il n’y en a ici aucune. Lors de l’Association mondial des journaux, en juin 2009, Daniel Biene, directeur de publication d’Axel Springer, vante « un produit phare de sa stratégie marketing : le «folk product» (le produit populaire ou produit dérivé). Il s’agit de vendre un produit courant (ligne ADSL, pèse-personne, raquette de tennis) frappé du logo du média, à travers un système de coupon à détacher du journal papier.»
Le saviez-vous ?
- Dans un journal, l’ours est un petit pavé qui fait office de carte de visite du titre de presse. Il permet d’identifier ceux qui sont à sa tête et faire jouer, en cas de litige, leur responsabilité. On parle alors de responsabilité en cascade. On se tourne vers le directeur de publication, puis le rédacteur en chef, etc. Une origine du terme “ours”, qui montre les capacités linguistiques de nous autres français, m’a toujours fait sourire. Ours viendrait de l’anglais “ ours ”, “ les nôtres”, qui désignait les gens qui avaient participé à la conception du canard.
- Durant l’âge d’or de la presse, deux sortes d’annonces font vivre les journaux. Les petites annonces et les annonces publicitaires, qui ont imposé la couleur dans les journaux.  En Europe, le ratio entre la part des annonces et de la vente (abonnement + vente au numéro) sur le prix d’un journal est de 60/40. Il monte à 80/20 aux Etats-Unis. C’était avant l’an 2000 et le début de l’effondrement des recettes publicitaires…
- En 10 ans, de 2000 à 2010, la part des abonnements dans le CA des journaux est passée de 15.8 % à 28.1 %, selon les statistiques du ministère de la Culture et de la Communication. Le Canard enchaîné, 14/08/12
- En Belgique, le pendant de l’OJD est le CIM, Centre d’Information sur les Médias

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