"J’Accuse…!" et autres grands articles: petite histoire du journalisme
Un guide dans un dédale d’infobésité…Fondateur du premier journal français, la Gazette, Théophraste Renaudot ne se serait sûrement pas engouffré dans une telle acception du métier de journaliste. Trois siècle plus tard, nul doute que Jeff Jarvis ne la trouve trop restreinte.
Professeur de journalisme à la City University of New York, blogueur influent, Jeff Jarvis théorise et popularise notamment le « journalisme de liens ». Tout part d’une idée: sur le web, pourquoi perdre du temps à réécrire ce qui l’a déjà été? Il suffit de rediriger, de baliser le terrain, de conseiller, de commenter et de se porter garant de l’information. Au XXI éme siècle, l’offre en contenu informationnel est abondante. Sans cesse stimulé, notre temps est compté et la rareté est aujourd’hui notre attention. Partant, le journaliste devient, tour à tour et parfois de manière cumulative: écrivain-journaliste, reporter, curateur et/ou community manager, journaliste dé-pollueur, journaliste de données, etc. Le métier ne cesse d’évoluer. Tout comme la presse, son attache d’origine.
La presse, née du politique. Au XIX éme siècle, Guizot, Thiers, Clémenceau, Jaurès, Blum, les ténors du parlement possèdent tous leur propre journal. D’ailleurs, en 1631, Renaudot bénéficie du soutien de Richelieu et de Louis XIII: « la monarchie en marche vers l’absolutisme a alors besoin d’un organe officieux d’information ». Un joug qui ne l’empêche pas de doter le métier de ces premières règles: « la vérification et la hiérarchisation de l’information, le service rendu au lecteur », comme l’explique Patrick Eveno, écrivain. Le journaliste concourt à la connaissance de la société: il donne des clefs à ses lecteurs afin qu’ils puissent décrypter et comprendre le monde qui les entoure.
Historiquement, deux grands modèles de journalisme « s’affrontent », avant de se nourrir mutuellement : le modèle anglo-saxon et le modèle latino européen.
Le modèle anglo-saxon: les faits sont les faits. Il est représenté par le reporter. Ce type de journalisme est régi par l’objectivité, par cette neutralité et cette volonté de distinguer les faits de leurs commentaires. Au niveau de l’organisation, le travail est collectif.
Le modèle latino européen: une impossible objectivité. Il est principalement représenté par le chroniqueur. Le journaliste, honnête, avoue sa subjectivité. Contrairement au modèle anglo-saxon la discipline garde des attaches avec la littérature et la politique. Au niveau de l’organisation, c’est le travail individuel qui prévaut.
C’est au XIX éme et au XX éme siècle que le journalisme de l’Europe continentale se convertit aux techniques et aux valeurs du reportage.
Une métamorphose qui ne rallie pas toute l’opinion. Les écrivains montent au créneau contre cette mutation du métier. Tout d’abord Balzac qui scande, avec véhémence: « de généralisateur sublime, de prophète, de pasteur des idées qu’il était jadis, le publiciste est maintenant un homme occupé des bâtons flottants de l’actualité. » Déçu, il va jusqu’à fustiger la presse où il a travaillé un temps: « Si la presse n’existait pas, il ne faudrait pas l’inventer. » De son côté, Zola déplore la transformation du journalisme par l’information, la fin des grands articles au profit des dépêches d’agences. A l’inverse, Hugues de Roux, journaliste au Temps, s’en félicite: «L’ancien chroniqueur, l’homme d’esprit, de bons mots et de propos à bâtons rompus est détrôné par un écrivain moins soucieux de briller mais mieux informé des sujets qu’il traite: le reporter.»
Dans « J’accuse ! Et autres grands articles », Patrick Eveno suggère de « jeter un regard en arrière ». Comme il le déclare: « la présente anthologie propose de retracer , à travers les textes, une histoire du journalisme et des journaux, qui s’entrecroise nécessairement avec la « grande » histoire, tant il parait impossible de séparer les médias de la société dans laquelle ils voient le jour ». De Renaudot à Mirabeau en passant par Victor Hugo, Gaston Leroux, Kessel, Hubert Beuve-Méry, Saint Exupéry, etc.
Sans oublier Albert Londres, pourfendeur et redresseur de tort. Muckraker à la Française, Londres est un journaliste engagé qui luttera toute sa vie pour des causes qui le passionnent: « Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie », écrit-il dans sa préface de Terre d’ébène. Les bagnes, le traitement des patients dans les asiles de fous, mais aussi, dans un registre plus léger, il sera un des premiers à couvrir la petite reine. Un article, « Les forçats de la route », qui nous immerge au sein du Tour de France.
En 1866, Jules Vallès, avec « Au fond d’une mine », réalise un des premiers reportages au sens moderne du terme. « Il faut acheter un calepin, un gros crayon pour noter le fait, marquer l’accident, arrêter au vol la sensation comme un oiseau en lui coupant les ailes », énonçait-il.
Aujourd’hui plus qu’hier et bien moins que demain ! Selon ses choix, Patrick Eveno nous offre ainsi une belle compilation. Avec un constat. Dans leur histoire, les plumes de l’actualité n’ont eu de cesse de réinventer leur labeur. Ce qui était vrai hier, l’est encore plus à l’heure du web…
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