Dans les coulisses d’Amazon, de l’autre côté du Styx

« Chaque partie étant pleine de vice, le tout était pourtant un paradis… » Mandeville
Bernard, La fable des abeilles : les vices privés cachent des vertus publiques, 1714
Sans doute parce la frontière entre la folie et le génie est mince, Jeff Bezos met en ligne dés 1995 un site dit de ecommerce. Son nom: Amazon.com. Son cœur de métier: la vente en ligne de livres. Caractéristique: c’est un gouffre financier, qui, néanmoins, se diversifie: Amazon propose alors l’achat de DVD, de Jeux Vidéos, de MP3, etc. 18 ans plus tard, Jeff Bezos récolte les fruits de son investissement. Un empire basé à Seattle, et au Luxembourg. Entre paradis fiscal et enfer social.
Il y a 10 ans j’effectue ma première commande sur Amazon.fr. Alors vierge de tout achat ecommerce, une peur me tenaille lors de l’entrée de mesAmazon-1995 informations bancaires; une décharge d’adrénaline, mon cœur s’accélère, mes pupilles se dilatent, des gouttes de sueurs perlent sur mon front: « Si ma carte de débit était piratée ? »
Néanmoins, tout se déroule à merveille. Deux jours plus tard je reçois mes livres, payés à – 5 % du prix éditeur, et sans frais de livraison. Rapidité, simplicité, immense catalogue; naviguer dans ce fleuve culturel est un véritable bonheur (un sentiment non partagé par les éditeurs: Amazon dicte sa loi et asphyxie les petits éditeurs, titre Rue89).
Mais qui est Amazon ?
Née en 1994, Amazon.com est une société qui pousse son premier cri virtuel en 1995. A sa tête, Jeff Bezos, un jeune entrepreneur obsédé par le long terme: « If you think about the long term then you can really make good life decisions that you won’t regret later », clame t-il à longueur de journée. Une marotte qui pousse Jeff Bezos a investir 42 millions de dollar dans une horloge située au Texas et qui pourra donner l’heure exacte pour les dix mille prochaines années: projet www.10000yearclock.net.
D’ailleurs, est-il besoin de rappeler que le long terme est la clef de voûte du ecommerce. Et que sur le web, les chalands sont volages, virevoltant d’un site à un autre à la recherche de la bonne affaire. Par conséquent,  afin de les fidéliser, de développer une clientèle, mieux vaut miser sur l’exclusivité. Précisons que le chiffre d’affaire d’Amazon trouve plus grâce dans sa diversification (Marketplace, AWS,  Cloud Computing Services (mais concurrencé et dépassé par Google), etc.), que dans la vente de produits culturels. Amazon travaille ici sur le volume en vendant à bas coût ses articles, de petites marges (bien qu’en 2012 le taux de marge brute était de 26%) qui portent leurs effets multipliées par le grand nombre de clients. Une équation qui asphyxie (barrière à l’entrée) les potentiels concurrents du site de vente en ligne de Seattle ( et qui voudraient se lancer sans véritable ligne éditoriale dans la vente de produits culturels.)
Amazon ? Quel est l’origine ce nom ?
logo-amazonTout vient d’une lubie de Jeff Bezos qui voulait que le nom de son entreprise commence par un A. Il feuillette donc le dictionnaire et tombe sur le mot Amazon, dont l’acception est: un endroit exotique et différent, une des plus grosses rivières dans le Monde. A mille lieue du small is beautifull, cette acception séduit ce précurseur du ecommerce , qui plus est adepte convaincu du longtermisme, pour preuve, sa patience envers la rentabilité de son sitePour la première fois depuis sa création en 1995, le groupe Amazon.com affiche des bénéfices annuels. Le groupe a d’ailleurs revu à la hausse ses prévisons pour 2004, l’Expansion.
En 2000, le logo d’Amazon est affublé d’un smiley, qui part du A pour rejoindre le Z. Un subtil ajout qui signifie que le site de vente en ligne s’occupe de tout, de A à Z. Que vous pouvez lui faire confiance.
Aveuglement, c’est ce que j’ai fait.  Des propositions d’achat en fonction de mes précédentes recherches lorsque je me rends sur le site de vente en ligne, des suggestions d’autres clients (64% des gens consultent les avis et notes des autres internautes avant de réaliser un achat), sans oublier les réceptions d’emailings personnalisés, re-marketing, re-targetting: combien de fois Amazon a influencé l’utilisation de ma carte de crédit ? Un rôle prescripteur qui a souvent été judicieux.
10 ans s’écoule. J’entre dans la trentaine. L’âge de la raison ? Je ne sais. Un âge, voilà tout. 10 ans s’écoule,la France compte plus de 30.7 millions de cyber-acheteurs, leurs paniers d’achat moyen est de 90 €, et j’apprends à encore mieux connaitre cette société basée et à Seattle, et au Luxembourg, un paradis fiscal.
Au sein des GAFA (Google Amazon Facebook Apple), Amazon est une de ces sociétés qui, à force de complexe montage juridique et la création de filiales dans des Etats dit « tunnels », tente, et avec brio, d’échapper à l’impôt ( sans oublier au passage de récolter de l’argent du contribuable par des subventions accordées par des Etats, comme la France, afin que le messie du ecommerce vienne implanter de grands centres logistique en son royaume, à lire cet article de RUE89)
En France et en Angleterre, la création d’emploi Amazon est encensée. Lors de l’ouverture d’un de ses entrepôts dans une ancienne ville minière en proie au chômage, gargarisé David Cameron clamera: « This is great news, not only for those individuals who will find work, but for the UK economy ». En temps de crise, lesophisme  ne semble pas effrayer l’homme politique.
En ce qui concerne l’apport à l’économie anglaise, on peut être dubitatif. « Les parlementaires accusent Amazon, Google et Starbucks de d’exporter leurs profits réalisés en Grande Bretagne », titre le Guardian le 13/11/2012. Et à Margaret Hodge, présidente d’une commission parlementaire chargée de traquer les grosses entreprises qui ne paient pas leurs impôts, de renchérir: « Vous manipulez vos bénéfices, vous n’êtes pas sérieux. C’est scandaleux. Nous obtiendrons des réponses. » ( The Independent, 13/11/2012, source: arrêt sur images).
En ce qui concerne l’apport de nouveaux emplois, une victoire à la Pyrrhus, lui rétorquent certains…
De Charybde en Scylla. N’en déplaise à sa dénomination, les conditions de travail des Amazoniens sont loin d’être exotiques. Sous payés, les salariés Amazon, que nous mandatons afin qu’ils fassent à notre place nos achats, sont sans cesse surveillés. L’efficience est le crédo. Le contrôle est le moyen. Chaque employé est muni d’un petit ordinateur qui pense à sa place: et qui lui dit où se rendre, quel est le trajet le plus efficace, en combien de temps le parcourir, le chronomètre (détour vers les vespasiennes non souhaité), etc. Travailler pour Amazon, c’est sportif, et comme tout athlète les contrôles sont fréquents: caméras de sécurité, fouilles à chaque sortie, portiques de sécurité, etc. il ne manquerait plus un passeport biométrique afin d’entrer dans l’Antre d’Amazon, de l’autre côté du Styx !
amazon-allemagne
Et en Allemagne, « Amazon met ses clients en colère », comme le titre le Welt am Sonntag, qui relate les violentes critiques dont fait l’objet le site ecommerce après la diffusion d’un reportage sur la chaine ARD qui dénonce les inhumaines conditions de travail des intérimaires d’origine étrangère: de nombreux Espagnols et Polonais logés dans des villages de vacances surpeuplés, payés moins qu’annoncé et qui doivent subir des heures de navette pour atteindre leur lieu de travail. Plus encore: « Amazon recrute des vigiles proches de la scène néonazie pour intimider, harceler et espionner les étrangers », dénonce le documentaire.
amazon-scotlandAmazon, c’est avant tout une entreprise logistique qui peut fournir à des tiers, grâce à son programme Marketplace, une visibilité et une solution ecommerce clefs en main: stockage, fullfillment (empaquetage), envoi. Non altruiste, le roi Pactole 2.0 empoche des commissions sur chaque vente.
De le fin de la distinction artificielle entre e-commerce et commerce. Le monde physique ne suffit plus à Amazon: la rivière souhaite s’étendre et lorgne du côté Brick and Mortor. Pourquoi ? Simplement car les cyber-acheteurs souhaitent pouvoir s’adresser à des enseignes physiques, ce qui les rassurent. Le géant de Seattle y pense donc sérieusement: L’e-commerçant désire ouvrir des magasins mais ne le fera qu’après avoir trouvé une idée d’expérience client différenciante titre le Journal du Net, ce que confirme Jeff Bezos: « If you do build a great experience, customers tell each other about that. Word of mouth is very powerful», avant de rajouter: « We see our customers as invited guests to a party, and we are the hosts. It’s our job every day to make every important aspect of the customer experience a little bit better. »
En résumé: Amazon est-il fiable et efficace ? La réponse est oui, et le taux de satisfaction et de confiance de sa clientèle en attestent. Amazon doit-il être utilisé ? A vous de voir: si vous souhaitez soutenir une multinationale qui s’évade fiscalement en récoltant au passage des subventions étatiques dans ses pays d’accueils, alors oui. Si cela vous scandalise, à vous de changer votre manière de consommer. Par exemple:un anglais sur trois a d’ores et déjà modifié ses habitudes d’achat (à noter que le montant des ventes en ligne, en Grande Bretagne, est de 80 milliards d’euros en 2011, alors qu’il est de 37,7 milliards d’euros en France pour 100 400 sites ecommerce actifs, selon la Fevad et que le ecommerce représente 4.4 milliards d’euros en Belgique, selon l’étude du Boston Group Consulting)
Zoom:  Vous vous rappelez la polémique à laquelle a été confronté, en France, les sites de ventes comme Alapage (depuis racheté et remplacé par Rue du Commerce) et Amazon ? 
Contexte.  Depuis la loi Lang du 10 août 1981, le prix des livres n’est plus libre dans l’hexagone. C’est l’éditeur qui le fixe. La philosophie de cette loi est de protéger les libraires indépendants. Qu’importe l’endroit où vous vous rendez, le montant sera identique et clairement imprimé sur la couverture de votre ouvrage. Seule une évaluation ou une remise de 5 % de ce prix éditeur est autorisée: « toute personne physique ou morale qui édite ou importe des livres est tenue de fixer, pour les livres qu’elle édite ou importe, un prix de vente au public. Ce prix est porté à la connaissance du public. Les détaillants doivent pratiquer un prix de vente au public compris entre 95 % et 100 % du prix fixé par l’éditeur ou l’importateur », article 1 de la loi Lang n° 81-766 du 10/08/1981 relative au prix du livre. En outre, pour éviter de contourner ce prix unique, la vente à prime est interdite: offrir en plus du bouquin un bien ou un service de nature différente entraîne donc des sanctions pécuniaires.
En plus (ou en moins ) du rabais de 5 % sur les livres, Alapage et Amazon offrent les frais de livraison à leurs clients. Charmés, les internautes succombent alors aux sites de ventes en ligne. C’est la facilité à moindre coût: pourquoi me rendre dans une librairie si je peux me faire adresser gratuitement mon ouvrage chez moi ?
Une réflexion qui en amènent d’autres:  Est-ce une manœuvre de contournement de la loi Lang sur le prix unique ? Offrir les frais de livraison constitue t-il une vente à prime ? Amazon, Alapage, etc. font-ils œuvres de concurrence déloyale envers les libraires ?
En 2003, le Syndicat de la Librairie Française (SLF) plaide la vente à prime et assigne en justice Alapage, puis Amazon. Le 6 mai 2008, la cour de cassation se prononce dans l’affaire SLF/ Alapage.com: «  la prise en charge par le vendeur du coût afférent à l’exécution de son obligation de délivrance du produit vendu ne constitue pas une prime au sens des dispositions du code de la consommation » ( pour consulter l’arrêt, cliquez ici ! ). Par conséquent, offrir les frais de port n’est donc pas assimilable à une prime. L’envoi est une obligation que doit assurer le vendeur.
Charabia juridique et petite explication. Nous nous situons ici au niveau du droit des obligations. La vente est un contrat dit synallagmatique : les deux parties contractantes ont chacune des obligations réciproques. Le contrat se forme instantanément dès qu’il y a accord sur la chose vendue et sur son prix. A charge pour l’acheteur de payer le prix et pour le vendeur de délivrer la chose. Or, cette délivrance suppose la remise du bien entre les mains de l’acheteur. L’obligation principale du vendeur, site de ecommerce, est donc la remise matérielle du contrat. Dés lors, rien n’oblige l’acheteur à assumer le coût de livraison. Et le vendeur qui le prend à sa charge ne fait qu’exécuter son obligation de délivrance. On ne peut donc assimiler cela à une prime…
Le saviez-vous ?
pourquoi-e-commerce
- Selon, Martin Gill, Analyste chez Forrester: « La croissance en ligne dépassera la croissance hors ligne. » Et au cabinet Forester de rajouter que le ecommerce représentera 191 milliards d’euros en 2017. Plus d’infos, cliquez ici !
- Au départ, Amazon ne vendait que des livres. Très vite, le site s’est diversifié: de la vente de produits culturel au sextoys, en passant par le dématérialisé: musique et livre numérique.
- Amazon applique le système Gillette (autrement dénommé le principe des lames et du rasoir) avec son Kindle fire: vendre à vil prix, même à perte, le rasoir, et rentabiliser son business sur la future vente de lames, onéreuses. Ainsi, Gillette acquiert une clientèle qui doit  renouveler ses achats. Vous avez le rasoir, vous êtes maintenant obligés de passer par nous pour les lames. Futé.
Amazon Mechanical Turk. Aussi appelé les Turkers, se sont les petites gens qui fournissent de l’aide à Amazon, notamment au niveau des fiches produits, comme la traduction. Les Turkers sont faiblement rémunérés.
-Parmi les plus grosses fortunes du monde, Jeff Bezos est classé au 15 iéme rang.
- Baromètre trimestriel de l’audience du e-commerce en France, 2ème trimestre 2012,  31,7 millions de cyberacheteurs : 1,3 million de plus en un an. Le top 15 des sites « e-commerce » les plus visités en France(source Fevad):
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