Livres, e-books et épuisement de droits

La lecture, c’est aussi un plaisir charnel: le bruissement des pages que l’on retournent, cette odeur si particulière qu’elles exhalent, cette couverture qui porte les marques de tous ses lecteurs, comme si chacun y avait laissé une partie de son âme. Un livre se lit, un livre se raconte, un livre se prête, un livre se donne. Du moins physiquement. Il semble que l’épuisement des droits ne soient pas de mise dans le monde des livres numériques, qui plus est en pleine expansion.
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Amazon, 15/03/13, capture ecran
Une post-révolution Gutenberg ?  Tandis que la part de marché des e-books est de plus de 22 % aux Etats-Unis, et de 13 % en Grande-Bretagne, le livre numérique peine à convaincre le public français et ne représente en 2012 que 2% des ventes de bouquins, contre 0,5 % en 2011. Une récente enquête de l’institut de sondage Gfk révèle même que les ventes d’e-books représente 21 millions d’euros en 2012, contre seulement 12 millions l’année précédente, et pourraient atteindre les 55 millions en 2015 (+ 162%).
Outre-Quiévrain, Thibault Léonard, le fondateur de Primento, une plate-forme créée en 2010 et qui se présente comme le partenaire numérique des éditeurs, observe un réel enthousiasme pour le numérique en Belgique, comme il l’explique au journal Le Soir, 12/03/13: « Sur base des ventes des e-books des éditeurs dont nous assurons l’adaptation numérique et la distribution, nous observons une croissance de 250% des ventes en 2012, ce qui nous permet d’estimer la part des livres numériques à environ 1% des ventes totales en Belgique pour cette année.»
Cependant, pas de quoi s’attirer l’engouement des éditeurs et des libraires qui abordent avec prudence ce marché par souci de ne pas détruire leur modèle économique. Eux qui perçoivent dans le numérique undémon: cette irrationnelle peur que le numérique ne détruise un secteur mal au point et vienne cannibaliser le papier, « regardez ce qui se passe avec la musique et ses puissantes Majors», disent-ils, la gorge nouée. Sans oublier les écrivains qui sont  inquiets pour leurs droits d’auteur. En somme, qu’on éloigne ce « papivore» qu’ ils ne sauraient voir.  Une réserve que confirme au journal Le Soir Nicolas Lebeau, le fondateur de la plateforme meslivresnumeriques.com: «  La mise en place a été difficile avec nos partenaires. Les libraires avaient l’impression qu’un lecteur converti au numérique était un client de perdu pour eux. Au départ, il n’était que 30 % a considérer que le numérique, c’est aussi leur domaine » et de renchérir: « Or leur métier est de mettre les gens en contact avec les textes, quelque soi le support. Certains éditeurs sont aussi très réticents.» Néanmoins, et si le papier et le numérique étaient complémentaires ? Si le numérique permettait de révolutionner la lecture ? A tout le moins, lui permettrait d’évoluer ? Apporter une nouvelle expérience utilisateur, interactive.
Quelques acteurs se partagent le marché du numérique. Vous avez bien entendu les mastodontes étasuniens: Amazon et son Kindle, Apple et son iPad, sans oublier Google (qui fut condamné suite à son procés contre les éditions La Martinière pour contrefaçon suite à sa campagne de numérisation de livres).
A côté, de meslivresnumeriques.com, vous avez aussi Dilithéque, ou encore epagine.fr, qui gère aussi la distribution de livres numériques en marque blanche de sites connues, comme la Fnac, Filigrane en Belgique, etc. Depuis un an, le paysage du secteur de la distribution de livre numérique s’est enorgueillit d’un nouvel et prometteur acteur: The Ebook Alternative. TEA, c’est une bibliothèque ouverte et partagée: une solution open source, interopérable sur l’ensemble des supports de lecture (tablettes, liseuses, ordinateurs). A sa tête: Guillaume Decitre qui s’est associé à la chaîne culturelle et artistique Cultura, au groupe de commerce en ligne RueDuCommerce, à la société française spécialisée dans les solutions open source Smile, et de l’Ecole normale supérieure de Lyon.
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TEA, 15/03/13
Comme l’explique le PDG des librairies Decitre à Le Figaro: «Notre initiative part du principe qu’il est important pour le lecteur de pouvoir lire les contenus de son choix sur le support de son choix et de choisir son libraire. Or, il s’avère que les solutions qui existent aujourd’hui ne permettent pas de choisir le support de son choix. Par exemple, l’iBooks d’Apple ne fonctionne que sur l’iPad, et c’est la même chose pour Amazon. Avec TEA, nous avons défini le manifeste des droits du lecteur numérique, renvoyant aux neuf principes que doit suivre une plateforme. C’est important de faire le choix du modèle ouvert dès le début, » tout en précisant que TEA s’appuie sur les éditeurs et les libraires car: «Aujourd’hui, 90% des livres vendus en France le sont par des libraires de quartier, des chaînes de loisirs culturels ou des sites de e-commerce. Il faut leur offrir une offre numérique de qualité et ouverte. »
Du côté BD, le secteur est en pleine émulation, que ce soit l’émergence de revues numériques, que de BD numériques. Un modèle qui doit se réinventer dans le monde virtuel, le format BD n’étant absolument pas adapté pour une lecture sur une tablette ou sur un smartphone.
Pour les revues, vous avez Mauvais Esprit, qui est un hebdomadaire humoristique d’histoires courtes. La revue fut mise en ligne en novembre 2012. Mais aussi Le Professeur Cyclope, soutenu financièrement par ARTE (pour la moitié du budget annuel évalué à 350 000 €), qui est une revue mensuelle de 100 pages, des histoires plus longues, à suivre au fil des mois. La revue Dessinée, quant à elle, est une revue trimestrielle de grands reportages en BD, 200 pages de dessins et 50 pages de rédactionnels. Futuropolis est actionnaire à 5 % et cette revue qui est vendue et en papier, et en numérique.
Pour les BD numériques, deux grands opérateurs couvrent la totalité des grands fonds : IZNEO, qui a sa propre librairie en ligne, et Hachette (qui vend via iTunes, Numilog…)
De l’épuisement des droits. C’est une règle. Après un premier achat, les détenteurs des droits, comme les éditeurs, ne peuvent s’opposer à un don, à un prêt ou à la revente d’un livre, objet physique ( notons qu’en terme de droit, et plus exactement de droit de propriété littéraire et artistique, on sépare le contenu, immatériel, soit l’écrit, du contenant, le livre). Néanmoins, cet épuisement des droits dans le monde numérique n’existe pas. D’ailleurs, les plateformes de distribution numérique ne se contentent souvent de ne fournir qu’une licence d’utilisation de l’œuvre achetée.
On perçoit l’angoisse des éditeurs face à cet épuisement dans le monde virtuel, où règne le partage. Cette hantise de voir leurs ouvrages s’échanger gratuitement sur la toile…
Cependant, la Cours de justice de l’Union Européenne a considéré le 3 juillet 2012 qu’un « créateur de logiciels ne peut s’opposer à la revente de ses licences « d’occasion » permettant l’utilisation de ses programmes téléchargés via Internet Le droit exclusif de distribution d’une copie d’un programme d’ordinateur couverte par une telle licence, s’épuise à sa première vente ». Est-ce une brèche dans laquelle les lecteurs 2.0 pourraient s’engouffrer ?
D’où les DRM…Des éditeurs militent pour le DRM (Digital Rights Management, en français, on parle de MTP: Mesure Technique de Protection) dont le rôle est de verrouiller (souvent trop) l’usage et le partage d’une œuvre. D’autres prônent la dissuasion afin d’éviter le piratage via le watermarking, une sorte de tatouage numérique qui permet de remonter à la source, à la personne qui a acheté le livre numérique. Deux types de tatouages existent, visibles et invisibles.
Pour l’anecdote. Après quelques réticences de J.K. Rowling, Harry Potter débarque en livre numérique au format epub sur le site pottermore.com. Moins de 24 heures après l’ouverture de la boutique, les premiers e-books piratés font leur apparitions sur la toile. Néanmoins, le watermarking n’ayant pas été effacé (car toute technique de protection peut aisément être contournée), celui-ci à vite été retrouvé, faute d’avoir investi dans une cape d’invisibilité.
Livre: de la complémentarité entre le monde virtuel et le monde physique. Le « book crossing » consiste à abandonner un livre dans un lieu public, afin qu’un quidam le trouve, le lise, et l’abandonne à son tour. Une façon pour l’ouvrage de voyager, une façon de faire circuler la culture. Et bien sur le web, il est dorénavant possible de suivre la progression de son ouvrage… Si jamais votre romantisme vous interdit un tel abandon, des sites de dons et d’échanges de livre existent sur la toile. Vous avez Booktroc, ou Biglib. Et pour les Bag Packer’s, une coutume est aussi de laisser dans les auberges de jeunesse vos livres lus  pendant votre voyage.
Le saviez-vous ? Le créateur du site Vidberg se fait entre 3000 et 4000 euros par mois grâce à la pub générée par son trafic.
Pour aller plus loin, voici la ventilation du prix de votre livre physique, (en moyenne et en Belgique, car j’y suis ;). Grosso-modo, c’est la même chose en France, si ce n’est le taux de TVA de 5.5 %, et qu’en France, il n’y a pas de Tabelle, ou Mark’up, plus d’infos ici !):
Librairie: 34 %
Frais éditoriaux, frais de structure, marge éventuelle: 18 %
Diffusion/distribution: 14 %
Droits d‘auteurs: 11 %
Fabrication: 11%
Marketing/ communication: 6 %
TVA: 6 %
" Les ebooks n’ont pas freiné la production imprimée aux USA ", titre livreshedo.fr, et de rajouter: " R.R. Bowker (Cambridge Information Group) constate enfin que le nombre de publications demeure solide malgré l’avènement du numérique dans le secteur du livre. Depuis 2009, la production imprimée n’a diminué que de 1%."

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