Ne jurons de rien: mais d’où vient-il, ce juron ?

Ne vous êtes-vous jamais retrouvé dans une discussion dans laquelle vous aviez prononcé un mot qui vous a valu le courroux et l’immédiate sentence de votre interlocuteur: « Tu as dis quoi, là ? Ai-je bien entendu ?». Un vocable que vous avez mollement bredouillé, que vous avez émie sans grande réflexion. Sans arrière pensée. Un terme proclamé sous le coup d’un réflexe Pavlovien. Un égarement; et vous voilà écartelé par de sombres regards qui vous injectent une forte dose de culpabilité et pour laquelle le constat est sans appel: « Fuck, je ne pourrai me défendre ». Et oui, j’ai dis: « Mais quelle salope ». Et oui, j’ai dis: « Elle est bonne ». Ces mots sont connotés, je le sais. Les employer, c’est mal, je le sais aussi. Mais d’aucuns n’a été formulé avec les acceptions que leur accordent les dictionnaires.
Ainsi, ne peut-on pas faire amende honorable ? Laisser sans jugement ces expressions vidées de leur sens ? Et ce sans ouvrir la porte à d’éternels débats. Certes, le faire serait les banaliser, ce qui est d’autant plus insultant. Bien que d’autres mots, jurons et insultes, ne sont aujourd’hui plus sur le coup de la vindicte populaire. « Diantre, bougre: pourquoi ce changement ? »,  s’interroge le lecteur, surpris.
Donc, d’où vient ce remaniement de la langue: Est-ce simplement le fruit d’une habitude ? Une amnésie collective ? Une coquille dans le dico ? Un changement d’état d’esprit ? Des mentalités ou des mœurs ? Une désuétude d’un mot qui n’a plus de raison d’être, cependant, comme il est là, autant lui trouver une seconde vie ? Pas de gaspillage dans notre monde de ressources rares.
Orwell-georgesDans son roman « Dans la dèche à Paris et à Londres », Georges Orwell digresse sur le concept de juron, et s’interroge: « C’est bien là ce qui est étrange, une fois établi comme juron, un mot semble perdre sa signification originelle, c’est a dire qu’il en vient à occulter la chose qui a fait de lui un mot à ne pas prononcer », avant de rajouter: «  Un mot devient un juron parce qu’il désigne une certaine réalité et, du fait qu’il est devenu un juron, il cesse de renvoyer à cette réalité. Ainsi le mot fuck. Les londoniens ne l’utilisent plus aujourd’hui, ou alors très rarement, en lui accordant sa signification originelle. » Et à l’auteur du roman 1984 de conclure: « Ils l’ont sur les lèvres du matin jusqu’au soir mais dans leur bouche, c’est un simple explétif, privé de signification précise. »
Plus encore, l’auteur de «La Ferme des animaux» (notez ma culture Orwellienne :p ), dresse un parallèle avec les insultes: « Les termes utilisés comme insultes semblent régis par le même paradoxe que les jurons,» analyse G. Orwell avant de renchérir: « On pourrait croire qu’un terme devient une insulte parce qu’il désigne quelque chose de vil. Or, dans la pratique, la valeur d’insulte d’un mot est sans grand rapport avec son sens affectif. De tout cela il ressort clairement qu’un mot n’est une insulte que parce qu’on le prononce dans une intention insultante, sans tenir compte du sens que lui attribuent les dictionnaires. Les mots, notamment les jurons, se plient ainsi au verdict de la vox populi. »
Conclusion: Je suis navré des mots que je peux parfois employer, et qui peuvent blesser, outrer. Sachez une chose: je ferai des efforts pour atténuer ces tics de langage tout en comptant les jours ou la vivante langue française m’autorisera, de nouveau, à m’exprimer librement, en sachant percevoir qu’aucunes insultes ne sortent de ma bouche. Je m’en remets donc à la vox populi. Non, je n’en ai pas rien à foutre. Ah, merde, j’ai récidivé ;)
Pour aller plus loin: 
bon-de-colere

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