Land grabbing, Land leasing, accaparement de terres

C’est « une gigantesque ruée mondiale », explique Stephano Liberti, journaliste et auteur du livre «Main basse sur la terre », un phénomène qui se « déploie à l’échelle mondiale, avec des ramifications et des articulations surprenantes, qui impliquent des groupes et des institutions bien loin, naguère, de s’intéresser à l’agriculture et à l’exploitation des terres. » En cause, le land grabbing, aussi dénommé le land leasing, ou l’accaparement des terres. Un fait dont les victimes sont les habitants des pays du Sud, spoliés de leur terre nourricière, « qui est leur mère, qui est leur père. »
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Des énormes plantations, des monocultures, s’étendent à perte de vue dans des pays comme l’Éthiopie, le Brésil, le Madagascar, faisant fie de la biodiversité. Les récoltent sont destinées à l’exportation pour l’Occident, soit pour ses besoins alimentaires, soit pour ses besoins énergétiques, les contestés agrocarburants. Si ce n’est un maigre salaire, les populations locales, affamées, ne bénéficient donc pas des investissements de ces accapareurs de terres, tant du point de vue technique, que du rendement.
Mais qui sont ces land grabbers ? « Les gouvernements riches en devises, mais inquiets du renchérissement des produits alimentaires de base », dispose Stephano, comme l’Arabie Saoudite, qui depuis le choc pétrolier de 1973 où les Occidentaux avaient usé de l’arme alimentaire (embargo), ne souhaite plus dépendre de pays tierce pour ses besoins en aliments. Toutefois, d’autres « acteurs se sont lancés avec enthousiasme dans la course aux terres: fonds spéculatifs, grandes multinationales, fonds de pensions »,continue l’auteur avant de conclure: « Dans le langage des investisseurs, la terre est un nouvel asset ( actif) pour diversifier leur portefeuille, et s’assurer d’importants retours sur investissement. »
L’absence de gardes-fous. Cependant, l’un des buts des institutions internationales, comme la FAO, la FIDA et la Banque Mondiale, n’est-il pas de lutter contre la pauvreté dans le Monde ? Donc de peser de leur poids sur ces accords, afin de les encadrer ? Certes, d’où l’érection de ce principe: ces investissements sont nécessaires, mais ils doivent tous être réalisés de manière responsable. Chaque partie doit tirer son épingle du jeu, en profiter: « En fait, il faut créer une situation gagnant-gagnant », déclarent-elles doctement.
Un vœux pieux. «Comment est-il possible de prétendre qu’on peut gagner des sommes folles sans que personne n’en paie le prix ? Comment est-il possible qu’à ce jeu de Monopoly agraire, il n’y ait que des gagnants et aucun perdant ? Comment peut-on à la fois générer des profits de 25 % l’an, produire pour le marché local et créer des emplois, sans que personne n’y perde ? », s’interroge Stephano Liberti, et à un anonyme manager d’un fonds qui investi en Amérique latine de témoigner et de répondre: « Inutile de nous raconter des histoires. Les exploitations agricoles à grande échelle privent les petits paysans de terres, d’eau et de débouchés. Nous vendrons nos produits moins cher qu’eux et ferons concurrence aux petites fermes familiales. Il faut faire des choix, qui sont aussi politique: je crois, pour ma part, que le monde a besoin d’une agriculture qui soit avant tout productive et à grande échelle. Mais on ne peut développer ce modèle sans que certains n’y perdent. »
pyramideComment un bien aussi tangible s’est il transformé en produit financier, par définition volatile et impalpable ? « Tout vient de la crise du marché boursier provoquée par la chute des subprimes au cours de l’été 2007. Au lendemain de l’effondrement de Wall Street et des bourses du monde entier, plusieurs acteurs du secteur financier se sont mis à chercher de nouvelles sources de profits. Ils ont donc commencé à investir dans les valeurs refuges, les fameuses commodities: or, pétrole, produits alimentaires de base comme le mais ou le blé. Leur raisonnement est simple: le monde continuera à manger. La population mondiale continuera à croitre. Les ressources alimentaires se raréfieront et vaudront donc toujours plus cher. Il est donc logique après avoir investi dans les matières premières de se mettre à investir dans les terres. Cet investissement est le corollaire des spéculations sur les produits alimentaires de base, qui sont rentables qu’à court terme et de toute façon, sujettes aux fluctuations boursières. »
Les accords de location des terres sont quasi toujours négociés en secret, et scellés sous le sceau de la corruption, entre gouvernements, ou entre gouvernement et entreprises. Les contractants parlent d’opportunité, de développement et de productivité. Des mots qui peinent à trouver le même écho dans la réalité, au point que la population locale ne peut s’empêcher de rétorquer: vol, néocolonialisme et violations des droits. N’y a t-il pas une autre alternative ? Plus encore, « faut-il investir dans la petite agriculture familiale, en distribuant des terres, en construisant des infrastructures, et en fournissant des lieux de stockage ou bien faut il miser sur les grandes plantations ? », comme l’expose Olivier De Schutter, rapporteur spécial des Nations Unis sur le droit à l’alimentation, avant de renchérir: «Cette question est cruciale, mais on l’élude car elle impliquerait une réforme agraire et priverait les gouvernements du bénéfice, immédiat à court terme, mais potentiellement contre productif à long terme, qu’entraine l’ouverture du marché aux grands investisseurs. »
Ainsi, Olivier De Schutter énumère une série de conditions très stricts, que reprend S. Liberti dans son brillant ouvrage: « la terre ne doit pas être cédée sans l’accord des communautés présentes sur le territoire, les investissements doivent être faits au bénéfice des populations locales, ils doivent créer des emplois, et il ne doivent pas limiter l’ accès à la terre ni la souveraineté alimentaire des pays concernés. Un pourcentage de la production devra être vendu sur le marché local. »
Main basse sur la terre éclaire le lecteur sur les ravages, mais aussi sur la naissance du land grabbing. De l’Éthiopie, en passant par l’Arabie saoudite, les Etats-Unis, le Brésil, ou la Suisse, Stephano Liberti nous embarque dans une enquête qui ne peut laisser indifférente. Le tout servi par une très belle plume. Ne pensez pas qu’il n’y a pas d’espoir et rappelez-vous les paroles de Margaret Mead: « Ne doutez jamais qu’un petit groupe de citoyens engagés et réfléchis est capable de changer le monde. En réalité, c’est toujours ce qui s’est passé ».
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Pour aller plus loin:
LA BELGIQUE COMPLICE DANS LA RUÉE MONDIALE SUR LES TERRES, “Le rôle joué par le gouvernement, les banques et les entreprises belges dans la ruée mondiale sur les terres est indéniable. C’est ce que dénoncent le CNCD-11.11.11, 11.11.11, AEFJN, Entraide & Fraternité, FIAN Belgique, Oxfam Solidarité et SOS Faim.

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