Presse écrite / web, ce qui sépare les deux médias

Le miracle de la presse, c’est l’histoire d’une routine débutée en 1631, en France, suite à la parution de La Gazette sous l’impulsion de Théophraste Renaudot. Chaque jour, un journal papier est donc produit. Chaque jour et depuis plus de 380 ans. Mais cette tradition est mise à mal depuis l’arrivée du web: « Qu’est-ce qui sépare les vieux des nouveaux médias ?,»  tel est le sujet de Terra incognita.net, de Daniel Schneidermann.
Le Monde, un journal généraliste. « Pourquoi faire semblant, en vous affublant de l’étiquette trompeuse de “media généraliste” ? Pourquoi ne pas assumer vos choix, vos impasses ? », attaque Daniel Schneidermann, avant de renchérir: « Si on ne fabrique pas son journal pour soi, si l’on prétend le faire “ pour le plus grand nombre”, alors on ne le fait pour personne. Il n’y a ni sujets interdits ni sujets obligés. »
Bien sur, un journal ne peut traiter de toute l’actualité: sa pagination limitée lui rappelle sans cesse que le sac sans fond de Mary Poppins n’existe pas dans le monde réel (mais peut-être sur le web ?). Dés lors, des choix doivent être effectués. Une évidence qui amène une question: qui décide de cette sélection ? Pourquoi certains sujets sont développés au détriment d’autres ?
Parce que ça marche, vous répond-t-on. « On ne se demande pas si ce qu’on fait est utile ou inutile, mais seulement si ça marche », se lamente Schneidermann. Un regret que Miguel de Cervantès, dans L’Ingénieux Hidalgo Don Quichotte de la Manche, résume en ces termes: « La faute n’est donc pas au public, qui demande des sottises, mais à ceux qui ne savent pas lui servir autre chose. » Poussé à l’extrême, le «parce que ça marche », revêt la forme de Melty, dont la particularité du site est que: « les sujets des articles sont choisis en fonction de plusieurs algorithmes repérant les thèmes qui vont intéresser "les jeunes". Plus "original" encore : les rédacteurs sont payés au nombre de clics sur leurs articles. » Un mode de fonctionnement qui ressemble plus à celui des fermes de contenus qu’à la dynamique qui anime les journalistes. D’ailleurs: « On n’a pas vocation à faire du journalisme, mais on fait quand même un travail d’information », explique Alexandre Malsch, co-fondateur du site aspirateur à clics, à Laure Daussy (arretsurimages).
Quid de l’indépendance de la presse ? « Un journal est toujours la voix de ses actionnaires avant d’être celle de ses journalistes. Tu es un pion, dans le journal des milliards de l’Internet de la banque d’affaires et de la haute couture, » réplique Daniel Schneidermann à celui-qu’il-aurait-pu-être-s’il-était-directeur-de-Le-Monde et de rajouter, sur le ton de l’autocensure et de la complaisance: « Tu leur donnes de toi-même satisfaction. Tu restes dans l’enclos électrifié. Tu glorifies la communication, la banque et le luxe. Vos articles ne sont plus que des sagas à la gloire des produits et des marques. »
Dans la logique du double marché qui fait vivre, du moins survivre la presse écrite, il peut paraître délicat de souffler en direction de la main qui vous tend de la nourriture. Un difficile exercice de funambule que certains ont tout bonnement refusé, comme Le Canard Enchainé, qui ne vit que de son lectorat, ayant fait fi de la manne publicitaire.
Une volonté également assumée par le site arrêtsurimages, dont le chiffre d’affaire se résume au nombre d’abonnés. Un cinquième pouvoir qui donne de la voix, qui commente, qui critique; en résumé, qui participe à la grande conversation. « L’apport irremplaçable des internautes à l’information. Tu y crois encore, aux forums ? », questionne celui-qui-aurait-pu-être-directeur-de-Le-Monde. « De moins en moins, c’est vrai. J’en suis beaucoup revenu. Tout se bavardage, ces discussions creuses, ces suggestions mirobolantes, suivies pied au plancher, et qui débouchaient sur des impasses, » avoue Daniel Scheidermann, avant de renchérir, plein d’espoir: « Mais tout de même, parfois, le diamant d’un texte brut, la piste de réflexion inattendue, l’enquête solide. Et, surtout, la parole libre, déversée sans gardiens, affranchie des bornes de la bienséance. Bref, le pire système à l’exception de tous les autres. »
Dans la seconde partie de son ouvrage, Daniel Scheidermann s’interroge ainsi sur ceux qu’ils dénomment « les dragons ». Les dragons, ce sont ces voix dissonantes, celles qui apportent leurs opinions, leurs idées, non conventionnelles. Ces discours que l’on souhaite étouffer, parce qu’il dérange. Néanmoins, rien ne peut être caché sur la toile. A tous ceux qui le tentent, l’effet Streisand leur assène une douloureuse piqûre de rappel.
arretsurimagesQuid de la transparence ? « On ne peut être transparent en permanence. Moi qui rêvais de maisons de verre, j’ai découvert, dans les étendues du web, exposé aux attaques et aux sarcasmes, la nécessité d’une boite noir protectrice. On ne dit jamais tout. Et la transparence est surtout un fantasme de journaliste. Le public, les gens ordinaires ne demandent pas cette transparence. Ils consentent parfaitement à une certaine opacité. »
arti
Chris Peck, Value Network Maps
Le web, c’est une course. Un univers mouvant, qui ne cesse d’évoluer, de se réinventer: « Les aventuriers d’Internet ne peuvent se munir d’une carte. Il ne peut exister de visibilité à deux ans, et ceux qui prétendent le contraire sont des escrocs (…) Il n’y a pas de carte, pas de guides, pas de gourous, ( comme le ) dit Bezos ( le nouveau propriétaire du Washington Post, et le fondateur du site de vente en ligne Amazon; ndlr). » Depuis 380 ans, la presse papier est quotidienne. Toutefois, s’il n’y a pas d’infos dignes d’être partagées et analysées. Si la parution n’était que le fruit d’une coutume. Si ce n’est que pour entrer dans le tant contesté moule de l’information en temps réel. Si c’est cela et tant d’autres choses, est-ce efficient de paraître physiquement tous les jours ? Plus d’infos dans le livre de Daniel Schneidermann.
terra

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