Artistes, contrefacteurs, et œuvres de l’esprit
L’artiste, cet impudent contrefacteur. Est-il possible d’être à la fois un artiste et un contrefacteur ? En effet, le plagiat ( dont le terme juridique est la contrefaçon) est le piège dans lequel ne doivent tomber les auteurs. Est-ce à dire que la splendeur de la littérature réside dans la création pure ? Qu’une œuvre ne doit contenir nul emprunt (retravaillé ou non) d’une autre œuvre ?
Ce serait méconnaître l’histoire et l’essence de la littérature: « Le plagiat est la base de toutes les littératures, excepté de la première, qui d’ailleurs est inconnue », comme le déclarait Jean Giraudoux. L’Homme de l’art n’est qu’une « éponge » qui, dans un premier temps, s’inspire des créations de ses congénères avant de devenir lui même une source d’inspiration.
Si l’on quitte le monde de l’écrit pour celui de la sculpture ou de la peinture, il en est de même. L’élève va d’abord découvrir l’art pictural (ou sculptural) d’artistes antérieurs. Il s’inscrira alors dans un courant artistique et, tel un nouveau né, il imitera ses parents. Petit à petit, sa personnalité commencera à s’exprimer. La crise d’adolescence marquera son émancipation: le fiston quittera son père et sa mère spirituel et affrontera sa propre vie de « saltimbanque ».
C’est ainsi que Gustave Lebon clame : « Le véritable artiste crée, même en copiant ». Si l’on pousse à l’extrême cette idée, le contrefacteur d’une œuvre d’art pourrait ainsi être considéré comme lui-même artiste s’il ressort des choix et une empreinte de sa personnalité dans l’œuvre réalisée. De même, deux peintres assis l’un à côté de l’autre peignant un même paysage sont tous deux des artistes. Les peintures, dans les deux cas, peuvent être des originaux du moment que ces créateurs aient laissé libre court à leurs talents.
Allons plus loin: n’importe qui peut se proclamer artiste ? N’importe quoi peut être considéré comme une oeuvre de l’esprit ?
En droit français, on ne juge pas de la qualité des œuvres. Selon la jurisprudence: une œuvre d’art une création originale, sans considération de mérite ou de destination et ne nécessite ni formalisme ni paiement préalable. A titre d’illustration nous avons cette célèbre affaire qui opposa le sculpteur Contantin Brancusi à la cour des douanes américaine en 1928. L’art abstrait envahit l’Europe et Brancusi décide d’exposer ses créations aux États-Unis. La loi américaine, selon certaines dispositions ( Tariff Act ), exonère de droits de douanes toutes les œuvres d’art. Néanmoins, une fois arrivé à bon port, les douaniers de New York ont eu bien du mal à reconnaître un oiseau dans cet amas de métaux. Pour eux, l’art est figuratif. Ainsi, refusant la qualité d’œuvre d’art, « L’Oiseau de l’espace » de Brancusi fut pesé comme un banal objet métallique et son géniteur paya les droits de douane. Furieux, taxé de fraudeur qui aurait voulu se jouer de la douane américaine en important de l’acier sous une forme d’œuvre d’art virtuelle pour être détaxée, il porte l’affaire devant les tribunaux étasuniens et obtient gain de cause. Aucune considération esthétique ne doit être juridiquement portée sur les créations de l’esprit. Comme en témoigne les exemples ci-dessous.
N’en déplaisent aux mannes Vespasien, l’argent n’a décidément pas d’odeur. Sous les traits de R. Mutt, Marcel Duchamp, l’initiateur du courant des « ready-made », expose un urinoir, difficilement utilisable car posé à l’envers, et qu’il rebaptise de l’humide nom de « Fontaine ». En 1993 et en 2006, Pinoncelli fait preuve de la même audace artistique : il se soulage sur la « Fontaine », lui rendant sa fonction première, et la brise. Deux fois il sera condamné à de lourdes peines pécuniaires, d’un montant bien supérieur à la pissotière.
La « demeure du chaos ». A Lyon, à Saint Romain au mont d’or, une bâtisse du dix septième siècle fut achetée dans les années 1990 par Antoine Ehrmann, riche homme d’affaires coté en bourse pour sa société d’art. En 1999 il créé « la demeure du chaos », un habitat qui reflète sa perception du Monde. Dans son projet, Ehrmann entreprend donc, non pas de démolir, mais de modifier l’image de sa maison : il déconstruit et reconstruit. Toutefois, cette déconstruction artistique, faite sans demande de permis de construire, n’est pas ni du goût du maire de la ville, ni des voisins du vieux Yuppie. Par ailleurs, certains habitants, devant toute cette médiatisation, se découvrent des âmes d’artistes et la Maison d’Eve voit ainsi le jour…
Dans un premier temps, le TGI de Lyon déboute Ehrmann. Puis, le 13 septembre 2006, c’est au tour du maire d’être débouté de ses prétentions en deuxième instance : la démolition n’est pas exigée, mais le propriétaire devra payer une lourde amende selon le non respect d’une règle de l’urbanisme. Le 15 janvier 2008, la Cour de Cassation casse et annule en toutes ses dispositions l’arrêt de la CA de Lyon. L’arrêt de la juridiction de renvoi, de la CA de Grenoble est attendu…
Dans un premier temps, le TGI de Lyon déboute Ehrmann. Puis, le 13 septembre 2006, c’est au tour du maire d’être débouté de ses prétentions en deuxième instance : la démolition n’est pas exigée, mais le propriétaire devra payer une lourde amende selon le non respect d’une règle de l’urbanisme. Le 15 janvier 2008, la Cour de Cassation casse et annule en toutes ses dispositions l’arrêt de la CA de Lyon. L’arrêt de la juridiction de renvoi, de la CA de Grenoble est attendu…
CY Twombly, l’artiste du « blanc, plus blanc que blanc », selon l’expression popularisée par Coluche. Vierge de toute empreinte, une toile blanche de CY Twombly est souillée par Rindy Saam qui déclare n’avoir « fait qu’un bisou » sur l’œuvre. La jeune femme explique qu’elle n’a pu résister, qu’elle fut prise d’une indéniable pulsion. Serait-ce un geste artistique ? Non, tranche la justice. La toile est gâchée, l’œuvre d’une pureté angélique est maintenant dépravée. Même s’il ne se voit plus, ce baiser a fait perdre à sa toile son innocence. Une amende et des millions d’euros de dommages intérêts seront réclamés pour « dégradation d’œuvre d’art »
Ni influencé, ni influençable, la motivation d’un artiste n’est ni l’argent, ni le public, mais l’expression de son individualisme. Comme l’écrit à juste titre Oscar Wilde: « Une œuvre d’art est le produit unique d’un tempérament unique. Sa beauté vient de ce que son auteur est ce qu’il est. En aucun cas de ce que les autres veulent. A la vérité, dès qu’un artiste prend conscience de ce que désirent les autres et s’applique à les satisfaire, il cesse d’être un artiste. Il devient un artisan, terne ou amusant, un commerçant, honnête ou malhonnête ; il ne peut plus prétendre être un artiste. L’art est l’expression de l’individualisme, le plus intense que le monde ait jamais connue, et j’aurais tendance à dire la seule. »
L’artiste est un Homme conditionné par son environnement et par ses rencontres. Historiquement, la pensée dominante était que seul Dieu pouvait créer. Dès lors, l’Homme se perdait derrière la divinité. C’est ensuite que l’artiste fut considéré comme un agent de l’éveil public : un homme qui, au sein d’une société, arrive à exprimer ce que ressent ses congénères. Il est une « éponge » qui digère le monde et le retranscrit dans son art. Pour cette capacité un monopole doit lui être octroyé. Mais un monopole d’une courte durée afin que l’inspiration primaire de l’artiste, nous tous, puissions, ensuite, pleinement en profiter (et l’œuvre retombe dans le domaine public). Puis, la dimension personnaliste est consacrée par la doctrine : l’œuvre provient de son créateur. L’Homme de l’Art est ainsi hermaphrodite ; il est le père, il est la mère.
En bref : l’artiste est un Dieu. C’est LE créateur qui a su travailler la matière inerte, matérielle ou immatérielle, afin de lui donner forme, lui donner vie. Selon la vision personnaliste, cette création est une émanation de lui. Dieu a créé l’homme à son image, l’Homme fait de même avec son œuvre. Ainsi réalisée, elle porte en elle l’empreinte de son géniteur…
Pour aller plus loin:
- Le droit d’auteur se divise en deux branches. 1) Le droit moral qui comprend le droit à la paternité de l’œuvre ainsi que le droit à son intégrité. Ce droit moral est incessible et inaliénable. 2) Les droits patrimoniaux, qui confèrent un monopole d’exploitation économique sur l’œuvre. Avec cette idée que l’auteur doit vivre des fruits de sa création: « Pour pouvoir créer, encore faut-il au préalable manger », disait Beaumarchais. Pour en savoir plus, découvrez ce billet de blog de Maître Eolas, Les droits d’auteur pour les nuls.
- Une œuvre de D. Spoerrie fait par un enfant et non par lui. D’où la décision de la Cour de cassation qui a jugé que Daniel Spoerrie n’était pas l’auteur « effectif » de l’ œuvre intitulée « Mon petit déjeuner » (1972), tableau exécuté, à l’occasion d’une exposition à Paris, par un enfant de 11 ans. L’acheteur qui s’estimait avoir été trompé avait porté plainte.
- Qu’est ce qu’un monochrome ?
C’est un tableau peint d’une seule couleur.
Quel en est l’intérêt ?, me direz vous.
A vous de voir. Toujours est-il que le monochrome plait. On peut par exemple citer Yves Klein, auteur de monochromes (bleu de préférence) et qui déposa le brevet d’une formule de bleu ultramarin, l’International Klein Blue (IKB), en 1960.
C’est un tableau peint d’une seule couleur.
Quel en est l’intérêt ?, me direz vous.
A vous de voir. Toujours est-il que le monochrome plait. On peut par exemple citer Yves Klein, auteur de monochromes (bleu de préférence) et qui déposa le brevet d’une formule de bleu ultramarin, l’International Klein Blue (IKB), en 1960.
Si la propriété littéraire et artistique vous attire, n’hésitez pas à lire « Le sacre de l’auteur », de B. Edelman
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