Dans le métro, morceau de vie

L’impatience se lit sur les visages de ces pendulaires ou navetteurs qui, sourcils froncés et yeux plissés, fixent au loin un horizon qui semble ne pas les satisfaire. Leur pose est statique et similaire: ils sont à l'affût et ils me font penser à des chiens de chasse qui n’attendent que l’arrivée de leur proie, en l'occurrence le métro. Lorsqu'il arrive, c'est l’excitation: les pupilles se dilatent, le cœur s'accélère.

Thomas Ulrich, flickr

Mind the gap between the train and the platform. Terminus pour les uns, embarquement pour les autres. Les portes s’ouvrent dans une joyeuse cacophonie: tandis que des gens s'empressent de descendre, au même moment d'autres n'ont qu'une hâte, monter. Je repense au slogan de cette campagne de prévention du métro de Melbourne et de son entêtante mélodie: « Dumb Ways to Die.» Elle a raison.

A l'intérieur, l’air est étouffant et chargé. L’halitose matinale se mêle à l’hyperhidrose et embaume le wagon d’un nauséabond fumet. Mon parfum «Bleu de Channel » ( que je cite, au cas où vous souhaiteriez me faire un cadeau) n'arrive à couvrir toutes ces effluves, son pouvoir social reste malheureusement limité. 

Je trouve une place assise dans le sens de la marche: tant mieux, mes vieilles jambes de trentenaire à peine réveillées n’auront pas à supporter mon corps pendant les 45 minutes qui me séparent de mon point d’arrivée. Une inconnue me fait fasse. Nos regards se croisent, je souri, c'est un réflexe; elle s’étonne, sa tête part en arrière et son visage se ferme. Gêné, et parce que je n’ai pas envie de mettre à disposition les 14 minutes 30 réglementaire pour la séduire (déjà que je ne suis pas doué), j’ai envie de lui dire que: « Malgré le charme qu’elle pouvait dégager, qu’aucune avance n’émanait de mon sourire, cette marque de politesse inculquée par mes parents. » Toutefois, je doute de l’effet de cette réflexion. Pire, elle m’enfoncerait. En fait, c'est nul: pourquoi ai-je pensé à cela ? Je baisse les yeux, mes chaussures sont sales. Je baille.

Entre nous, un jeu se créé. Chacun tente de ne croiser le regard de l’autre. Comme si ce simple coup d'œil avait été synonyme de profanation d’un quelconque espace vital. Comme si j’avais violé la propriété de son gynécée.C'est comme cet homme âgé, un ancien policier, qui m'avait tenu la parlotte dans une salle d'attente, l'autre jour. Il était drôle et amical. Quelques minutes plus tard, je le croise dans le métro. Il me regarde. Je lui fait un signe de la tête et je débute la conversation. Mais il m'ignore. C'était pourtant le même individu. Cependant, il était devenu antipathique. Méfiant. Franchir le portique de la rame l'avait, semble-t-il, transformé, affublé d'une carapace. Étrange.

Le temps est long, et mon regard fuyant ne trouve aucun point d’accroche. Ni lecture d'une quelconque annonce publicitaire sur laquelle conspuer, ni smartphone, je n'ai pas de réseau. Je me perd dans mes pensées et j'essaie de me rappeler ce mot, lu le matin même, et qui a nécessité la sortie de mon dictionnaire: Palinodie. Quelle mémoire, je m’en félicite. Par contre, je ne me rappelle plus de sa définition. J’ai beau mordre ma langue et me concentrer, cet Alzheimer précoce ne me laisse pas de répit.C’est aussi rageant d’avoir en tête un mot et ne se remémorer son sens, que de visualiser un acteur sans pouvoir mettre un nom dessus. 

Un homme orchestre s’engouffre dans le wagon. « Cool, » me dis-je, Rémy Bricka va adoucir les mœurs avec sa musique festive: « C'est la vie en couleurs.» Ou pas, d'ailleurs.

Une chaîne hi-fi portable dégueule un son grésillant et assourdissant. Une musique langoureuse sur laquelle chante un Julio Iglesias sur le déclin.C’est là que je comprend que la musique peut effectivement être un redoutable instrument de torture. Je fouille dans mes poches afin de trouver de quoi payer cet homme et lui demander d'arrêter d’égorger le chat. Dans ce cas, je ne sais ce qui fait le plus peur: être accostée et sermonnée par Brigitte Bardot, ou écoper d'un an de prison ferme.

Bref, le métro stoppe, l’homme descend, tout comme ma voisine, remplacée par un inconnu que je n’ose regarder. De lui, je ne sais qu’une chose: il écoute de la musique. Sans doute trop forte pour ses oreilles, néanmoins pas assez pour que je puisse discriminer le titre de la chanson. Il ne me reste que trois stations, je ferme les yeux...

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