Addiction à l'Internet et deconnexion au web: le souhaitons-nous vraiment ?

Fils de l’homo sapiens sapiens, l’homo numericus, l’être humain hyperconnecté au web via son smartphone, sa tablette, son ordinateur, semble vouloir couper le cordon Internet. Les cures de désintoxication numérique d’une journée, d’une semaine, d’un mois, d’une année, pullulent. Les déconnexionnistes montent au front.  La « national day of unplugging » (journée nationale de la déconnexion) bat son plein. Les néo-luddites applaudissent. Et les logiciels comme « Freedom » ou « AntiSocial », qui coupent l’expression de nos mois numériques, sont de plus en plus en utilisés. Peut-on parler d’addiction à l’Internet ? Souhaitons-nous vraiment nous débrancher de cette matrice virtuelle ? Ou, devons-nous apprendre à la gérer ?

Jadis, le matin, l’homo sapiens sapiens avait l'habitude, après une nuit de sommeil, de violemment taper sur son réveil afin de ne plus entendre cette, oh stridente sonnerie. Hagard, il se dirigeait alors dans sa salle de bain: une douche, un brossage de dent, le tout, parfois, accompagné du son de sa radio. De nos jours, le nomophobe homo numericus, encore couché dans son lit, tourne tout son corps à peine réveillé et laisse glisser sa main vers sa table de chevet afin de s’emparer, délicatement, de son smartphone. Les yeux humides, et encore collés par une nuit trop courte, il vérifie ses emails, inspecte ses réseaux sociaux, examine les gros titres de la presse. Quelquefois il se fend d'un ironique tweet: « Shortest horror story in history: Today is Monday. » Toujours, il attend une réaction de ses « followers ». Puis, il se dirige vers sa salle d’eau, en « checkant » sa position sur foursquare.

« J'étais toujours connecté », témoigne ainsi David Roberts, journaliste chez Grist, « j’ai même fini par devenir maître dans l'art de tweeter en urinant. »
De son point de vue, « ce temps était consacré à une foule d'activités: lire, bloguer, discuter, faire du shopping, écouter de la musique, regarder des films. »
Du point de vue de son fils, il n’était qu’un homme assis derrière un bureau, devant son ordinateur. Facebook, Google plus, Twitter, Pinterest, flux RSS, etc. David consultait sans arrêt chacun de ses comptes et s'angoissait dés qu’il était séparé de son smartphone: « Ne pas se connecter, c'est risquer de devenir invisible. » Et de confier: « Je ne pouvais effectuer mon vrai travail - réfléchir, faire des recherches ou écrire un texte de plus de 140 caractères - qu'en pleine nuit, quand les choses se calmaient. » 
A 40 ans, en burn-out numérique, David Roberts s’accorde: « une pause dans cette vie hyperconnectée (...) Mon double Internet allait resté muet comme une carpe. » 


« Si on veut vraiment enraciner une habitude, on l'encourage avec des récompenses à intervalles et en quantités variables, » comme le souligne David. C’est le « Renforcement intermittent » exposé par le psychologue Burrhus Frederic Skinner. Dans ce cas, le protocole expérimental consiste à apprendre à des rats que, s'ils appuient sur un levier, ils recevront de la nourriture. Néanmoins, ils ne savent quand ils la recevront, ni en quelle quantité. Dés lors, les rats adoptent un comportement compulsif, ne cessant d'actionner le fameux levier.
Ce qui est de même pour l'être humain. A constamment regarder nos emails, sur facebook à scruter cette planète afin qu'elle devienne rouge, signe de la réception d'une notification. Un jour, nous n'avons rien: pas de courriels, ni de retweet, ni de « j'aime » sur facebook; un autre jour, c'est l'inverse: et c'est la récompense, notre récompense. « La vie ordinaire finit par ressembler morne face à la cascade de gratifications que nous trouvons dans la communication contingente en ligne. » Cependant, nombre d’experts constatent que la technologie sur-sollicite notre cerveau. Et un cerveau qui ne se repose jamais est un cerveau peu productif.

Devant cette addiction au web, les plus soucieux, ou les plus dubitatifs, sont ceux qui travaillent dans le secteur des nouvelles technologies. Conscients des méfaits de l’Internet, « les PDG du secteur des nouvelles technologies veillent jalousement sur leur progéniture en prenant soin de la protéger des sirènes numériques, » explique Nick Bilton dans un article du New York Times daté du 10 septembre 2014. Et de rajouter que, lors d’une rencontre avec Steve Jobs, le journaliste lui avait posé cette question: « Vos enfants doivent adorer l'iPad ?» La réponse du feu patron d'Apple l’étonna: « Ils ne s'en sont pas servis, » répondit-il, avant de rajouter: « Nous limitons l'utilisation de la technologie à la maison. » Quelques mois plus tard, Nick Bilton interrogea Walter Isaacson, biographe de Jobs et qui avait passé nombre de jours et de soirées avec lui: « Chaque soir, Steve tenait à ce que toute la famille dîne à la grande table de la cuisine pour parler de livres, d'histoire, et de toutes sortes de choses. Personne ne sortait jamais son iPad ou son ordinateur. Les enfants n'avaient pas l'air du tout d'être dépendants à ces appareils. »

Nick Bilton mena ensuite son enquête auprès d’autres pontes de la Silicon Valley, temple des start-ups et des industries de hautes technologies gravitant sur la Toile. Ainsi apprend-t-il que Chris Anderson, ancien rédacteur en chef du magazine The Wired, « a instauré des limites d'utilisation et des contrôles parentaux pour tous les appareils: « La règle numéro un, c'est: pas d'écrans dans la chambre, un point c'est tout (...) Nos enfants nous accusent d'être des fascistes, disent qu'aucun de leurs amis n'est soumis à de telles règles. Mais leurs parents ont pas été exposés, directement, aux dangers de la technologie. Moi je sais ce que c'est et je ne veux pas que cela arrive à mes enfants. » Un avis  partagé, notamment, par Evan Williams, l’un des fondateurs de la plateforme Blogger, Twitter et Medium. Dés lors, le journaliste constate que: « Si ceux qui évoluent hors de l’univers high-tech offrent des smartphones à leurs enfants dès l’âge de 8 ans, nombre de parents qui travaillent dans les nouvelles technologies attendent que leur enfant ait 14 ans. »

Toutefois, l’addiction à Internet existe-t-elle ? Le DSM (Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, Fifth Edition), qui est un manuel de diagnostiques et de statistiques relatif aux troubles mentaux, et la bible des psys étasuniens, considère que cette addiction au web n'est pas fondée. Selon un papier du New Yorker du 26 novembre 2014: « Internet n'est qu'un medium, pas une activité en soi. Si vous passez votre temps à jouer compulsivement a des jeux d'argent en ligne, c'est que peut-être vous avez une addiction aux jeux, pas à internet à proprement parlé. De même, si vous pensez voter argent en faisant du shopping en ligne, c'est que vous êtes probablement accro au shopping. » Donc, l’addiction à la toile ne serait qu’une façade qui cache une véritable pathologie. On peut y voir une appellation globale, mais non spécifique, et non véritablement reconnu par la majorité du corps médical.

Aussi, souhaitons-nous vraiment nous déconnecter ? « Nous ne sommes que des touristes au pays sans technologie, et nos visas ne nous autorisent à y rester qu'un jour, une semaine, un an, » martèle Casey N. Cep dans son article du 19 mars 2014 dans le New Yorker, avant de renchérir: « C'est pour cette raison que tant de ceux qui se déconnectent reviennent si vite narrer leurs expériences. Les annonces de départ en grande pompe - « je suis en désintoxication numérique pour quelques jours » - sont inévitablement suivies de glorieux avis de retour - « qu'est ce que j'ai manqué ? » (…) L'objectif n'est pas tant l'abstinence que des retrouvailles, avec un regard neuf, sur la façon d'utiliser les technologies. Il est rare que les personnes qui se déconnectent veuillez vraiment renoncer au royaume du numérique (…) S'il faut se déconnecter pour apprendre à mieux vivre connecté, ainsi soit-il. » Toutefois, « nous ferions mieux de réfléchir à la façon de vivre dans ce monde (moderne, technologique, ndlr) que de prétendre que nous pouvons vivre autre part. »

Adopter votre propre stratégie de survie, comme David Roberts. Dormez, faites des pauses, planifiez des moments de déconnexion, ne répondez à vos emails ou aux membres de vos réseaux sociaux que lorsque vous le décidez (et non pas quand votre smartphone clignote pour vous indiquer que vous avez un message), effectuez une activité sportive, prenez de réguliers bols d’air frais et laissez vagabonder votre esprit, allez boire un café avec vos amis. En résumé, gagner du temps en contemplant les paysages de Dame Nature, et en rêvassant. Car, « pour l'homme qui sait voir, il n'y a pas de temps perdu, » Alfred de Vigny, Journal d’un poète, 1832.

Pour aller plus loin: 
- A lire "En 2015, débranchez !," Courrier International, semaine du 1er au 7 janvier 2015, hebdomadaire n°1261
- Longue traîne et paradoxe des choix sur le web. « Notre culture locale est un vaste hit-parade. Nous sommes obnubilés par les succès: les faire, les choisir, en parler, suivre leur essor et leur déclin, » se lamente Chris Anderson dans son livre « The long Tail ». Chaque jour est une effrénée course au box-office. « Les dirigeants de toutes les industries du loisir s’interrogent fébrilement sur ce qui marchera demain. » Si le web avait sonné le glas de cette économie basée sur le hit ? Si le web avait abrogé cette loi du succès en démontrant, dans la pratique et dans un secteur donné, que la vente de tous les produits improprement estampillés insuccès était plus rentable ? Les marchés de masses sont morts, vive les masses de niches. « L’ère de la taille unique touche à sa fin et cède la place à quelque chose de neuf, un marché de multitudes, » renchéri Anderson. Et si la culture de l’abondance nous éloignait du bonheur ? Pour lire la suite, cliquez-ici !

Commentaires

  1. C’est vrai que Internet devient vraiment indispensable dans notre vie. Il nous entoure 24/24 via les ordinateurs, mobiles, tablettes, montres, voitures, etc. Bien sûr le sujet d’argent en ligne est très important, puisque de plus en plus de gens considère Internet comme leur source d’argent principale. J’ai même entendu une histoire qu’un habitant de Québec a remporté un million de dollars en devinant les résultats Powerball USA ! D’après mon avis cette tendance se généralisera de plus en plus...

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