Du difficile changement: mythe de l'âge d'or, réflexe Semmelweis et loi du moindre effort

Le changement, source d'emmerdements. Quitter sa zone de confort, ses repères, et devoir s'adapter, ré apprendre. Même si le changement peut être source d'inefficience, à court terme, il peut devenir, à long terme, bénéfique. Néanmoins, il y a ce réflexe Semmelweis et ce mythe de l'âge d'or:  d'un côté ce rejet de l'évidence devant des croyances, des dogmes bien ancrés ; de l'autre, cette prédisposition de l’Homme à penser qu'avant, tout était mieux. Aussi, il y a cette loi du moindre effort qui anime notre cervelle: ce "moins j'en fais, mieux je me porte". Notre esprit possède ces deux caractéristiques: souvent aveugle devant l’évidence et souvent incapable de prendre conscience de son propre aveuglement. 

Hôpital général de Vienne, Allgemeines Krankenhaus. Entre 1841 et 1845, le taux de mortalité des mères en couches est de 1 sur 10. Sur un peu plus de 20 000 naissances, environ 2000 mères succombent à ce que l’on nomme la fièvre puerpérale. En 1847, la situation empire: une accouchée sur six en meure.
D'où vient-elle, cette maudite fièvre? Est-ce une fatalité ?
D'autant que le risque de décéder de cette maladie infectieuse est 60 fois moins élevé en cas d'accouchement à domicile que dans un moderne hôpital, comme le constate Philippe Ignace Semmelweis, alors jeune médecin hongrois et directeur adjoint de l'hôpital générale de Vienne. A n’y rien comprendre.
« Tout paraissait possible ; tout paraissait inexplicable ; tout était incertain. La seule réalité indiscutable était le nombre élevé de décès, » explique-t-il, dans son carnet de note.

Lorsqu'un jour, après une autopsie, un émérite professeur décède dés suite d'une simple coupure de scalpel. Les maux dont il souffre sont « identiques à ceux dont des centaines de patientes de la maternité étaient mortes avant lui, » remarque Semmelweis.
Pour lui, il n'y a pas de doute: il y a un lien entre les « particules cadavériques » des corps autopsiés et les décès des femmes en couches. Ce sont les médecins eux-mêmes qui sont à l'origine de cette fièvre puerpérale. Dés lors, après chaque autopsie, le jeune directeur adjoint ordonne à tous les disciples d'Hippocrate de se désinfecter les mains à l'eau chlorée. Le taux de mortalité tombe, ainsi, à moins de 1 %.
Ceci est un exemple de la loi des conséquences involontaires: « mus par la quête de la connaissance et le désir de sauver des vies, des médecins ont pratiqué des milliers d’autopsies qui ont causé, en retour, la perte de milliers d’autres vies, » expliquent Steven D. Levitt et Stephen J. Dubner, dans leur ouvrage « SuperFreakonomics ».

Mais l'histoire ne s'arrête pas là. Malgré les notables effets positifs de ce lavage intensif de mains, le corps médical rejette les déductions de Semmelweis. Non, il n'est pas possible que la cause des décès soit du fait des médecins. Non, il n’y pas de lien entre les autopsies et ces décès. C'est un simple lien de corrélation, il n'y a pas de lien de causalité.
Il faudra des décennies pour que la profession accepte cette conclusion. Malheureusement, nombre de scientifiques ont tendance à s'identifier à leurs théories. Pourtant, une théorie est censée faire avancer la science plutôt qu'à la définir pour l’éternité. 

Ainsi est né ce que l'on nomme aujourd'hui le réflexe Semmelweis: cette tentation de rejeter l’évidence, les nouvelles connaissances parce qu’elles contredisent les normes, les croyances, les paradigmes, les dogmes.

Le mythe de l'âge d'or, du « tout était mieux avant et l'humanité va, inexorablement, vers son déclin », une prédisposition de notre cerveau ? Le cerveau humain « a une tendance à embellir légèrement le passé, » explique Sébastien Bohler, avant d'expliquer que ce dernier comporte un endroit qui se nomme le système (ou circuit) de récompense : « un ensemble de neurones situé au cœur du cerveau (...) et qui est très important à la fois la sensation de plaisir et dans l'apprentissage. »
Partant, quand on se remémore un souvenir agréable, cela créé du plaisir, ainsi le circuit de la récompense s'active et libère une hormone, la dopamine, dont la conséquence est de « renforcer le souvenir associé, » le consolidant. A l'inverse, pour un souvenir désagréable, il n'y a pas de plaisir, donc pas d'activation du système de récompense, donc pas de dopamine, donc un souvenir qui n'est pas consolidé et dont la vivacité, au fils du temps, s'amenuise, et peut même s'effacer (enfin, si cette réminiscence n'est pas trop chargée émotionnellement, comme un syndrome post-traumatique, par exemple).


Par ailleurs, « la nostalgie, le fait se se remémorer le passé, est comme un baume émotionnel que nous nous appliquons, » dispose Sébastien. Lorsque nous imaginons le futur, que nous nous projetons dans l'avenir, ce sont les zones de la mémoire qui s'activent. «  On utilise des éléments du passé pour construire des scènes nouvelles. On fait du neuf avec du vieux. » Et comme les souvenirs que nous consolidons sont, pour la majorité, ceux qui sont agréables ; avant, donc, c'était forcément mieux...

En outre, selon Daniel Kahneman, lauréat du prix Nobel d’économie en 2002 et auteur de « Système 1, système 2 : les deux vitesses de la pensée » : « La loi du moindre effort s’applique autant à la réflexion qu’à l’effort physique. Si plusieurs approches de prise de décision permettent d’atteindre le même but, c’est la méthode la moins énergivore qui sera la plus populaire. » 

Enfin, comme le résume lesaffaires.com : « l’esprit possède deux caractéristiques majeures : il est souvent aveugle devant l’évidence et incapable de prendre conscience de son propre aveuglement. Généralement, nos décisions ne sont pas fondées sur nos expériences passées, mais sur le souvenir que nous en avons ; et ce phénomène nuit à notre capacité de faire des choix rationnels. Daniel Kahneman détermine deux pièges principaux que notre mémoire nous tend : 1. La négligence : la mémoire traite une expérience avec une vue d’ensemble, elle conserve un aperçu trop vague d’un problème passé et ne rend jamais compte de sa totalité. 2. La règle « pic-fin » : la mémoire est fortement influencée par le moment culminant d’une expérience et par sa fin. La plupart des décideurs surestiment leur capacité de jugement. »

Alors, dans le passé tout était-il réellement mieux ? Peut-être, peut-être pas. Toute transition, qu'elle quelle soit, est-elle nécessairement mauvaise ? Peut-être, peut-être pas. Dois-je croire ce que je pense ? Peut-être, peut-être pas. Douter est la clefs, oui, mais avec mesure, avec recul. Attention à nos prédispositions et à nos réflexes ;)

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