TreatreNeu: le pay per laugh, ou ne payer qu'au nombre de rire

A Barcelone, un club de stand-up propose à ses clients de ne payer que s’ils se sont fendus la poire. A chaque rire, le spectateur s’acquitte de la modique somme de 30 centimes. A la première lecture, comment ne pas trouver cela génial, innovant. Qui d’entre nous n’a pas, un jour, hésité à s’acheter des billets pour un one (wo)man show en se disant: “Et s’il (ou si elle) ne me faisait pas rire ? ” Le pay per laugh annihile cette angoisse: c’est un gagnant-gagnant, soit je me boyaute; soit je m'emmerde et je ne paie pas. “Mais pourquoi n’y-a-t-on pas pensé plus tôt ?” Toutefois, cette révolution dans le mode de paiement éclipse une austère réalité: celle du gouvernement espagnol qui, sur le prix de chaque billet, augmente le taux de TVA de 13 points et la solution de survie d'un petit théâtre qui menace de fermer.

0,30*80 = 24 euros, l'équation d'un spectacle rentable. A Barcelone, le club de stand-up TreatreNeu lance ce nouveau mode de paiement: le pay per laugh. Concrètement, chaque spectateur rentre gratuitement dans la salle de spectacle. High-tech, le dos de chaque siège est surmonté d’une tablette qui, à l’aide d’un programme de reconnaissance faciale, capte les expressions de votre visage. Si vos zygomatiques se contractent, laissant apparaitre un sourire, voir un rire, un compteur s’active et affiche un 1, puis un 2, etc. A chaque risette, votre portefeuille électronique - alimenté par votre carte de crédit - s’allége d’un montant de 30 centimes. Les misanthropes s’en tireront à bon compte, les bienheureux ne paieront, au maximum, que 24 euros. Chaque spectacle est plafonné à 80 rires.
Plus encore, la tablette vous offre la possibilité de prendre des photos (des ego-portraits, des selfies) et de les partager sur vos réseaux sociaux préférés: ces tweet et ces like qui vous transforment en ambassadeur, en prescripteur.
Le bilan est que la fréquentation du théâtre croit de 35 %. Dans le même temps, le prix de la place augmente de 6 euros.

Se révolter, ou fermer. Pourtant, l’histoire aurait pu se terminer par la fermeture du TreatreNeu. Diminution des subventions accordées aux opérateurs culturels, hausse de la TVA, de 8 à 21 % sur chaque ticket vendu, sont autant d'ingrédients qui ont eu pour conséquences de faire chuter les recettes du club de stand-up. Dont les salles devenaient de plus en plus vides.
C'est ici qu'intervient l’agence publicitaire Cyranos McCann, laquelle suggère au TreatreNeu un partenariat et le concept du pay per laugh.


Pour l’agence de publicité, ce rapprochement est une aubaine: des paiements par cartes bancaires, la récolte de noms, de prénoms de clients, la prise de photos durant le spectacle et leurs partages sur les réseaux sociaux, sont autant de données que Cyranos McCann peut collecter, et exploiter.
Pour le monde de la culture, c’est une infortune: l’art devient plus onéreux, moins accessible, et ce sont les citoyens qui pallient les coupes gouvernementales. Les bouleversements technologiques ont tendance à éclipser les bouleversements économiques et politiques, souligne le journaliste Evgeny Morozov dans Le Monde Diplomatique, Septembre 2015, avant de renchérir: “ Le fétiche de l’innovation ne doit pas servir de prétexte à nous faire encaisser le coût des récentes turbulences économiques et politiques.
Par exemple, illustre-t-il: "On a relaté l'essor des cours en ligne (les MOOC), sans évoquer les réductions budgétaires qui, dans le même temps, frappaient les universités." Et le sociologue Dominique Boullier, dans une vidéo de Thinkovery, de relater ce fait d'actualité: celui d'un professeur d'université à Princeton qui apprend que le MOOC qu'il vient de créer sera partagé avec d'autres facultés, avec pour conséquence le licenciement de professeurs. 
Néanmoins, le MOOC, dont l'ancêtre est le e-learning, est-il en soit une innovation ? Dominique Boullier argue qu'avec le MOOC nous sommes actuellement dans une "logique de standardisation, qui consiste à packager des contenus facilement transmissibles (...) Diffuser des savoirs et utiliser la bande passante est une première étape. La technologie est puissante, mais l'innovation pédagogique est faible." Mieux structurer les contenus, aller au delà des simples quizz et forum pour amener plus d'interactivité, etc. tels sont les enjeux des cours en ligne.
Chocolat maison ou chocolat classique ? Découverte ou statu quo ? Mon père tient une crêperie en Bretagne. Pendant un temps, j’y ai effectué le service. Un soir de grand mouvement, une dame m’interpelle. Elle avait commandé une crêpe, au sein de laquelle reposait un onctueux chocolat préparation maison, comme l’indiquait clairement le menu. Sciemment, elle avait donc fait le choix de la découverte.

Monsieur, excusez-moi,” me dit-elle, dans ton ferme, et saccadé, “dans votre chocolat, vous avez mis un peu de café et de calva
Ebahis par la finesse de son pallet, je lui souris, dodeline de la tête, et j’acquiesce.
Je n’aime pas ça. Je souhaite ne pas payer pour ceci.”
Souhaitez-vous que je vous offre et que je vous serve une autre crêpe ? Avec du chocolat classique, ou autre, et  afin de ne pas rester en fin de repas sur une mauvaise note sucrée. Ce serait dommage
Non, vous me déduirez ceci ”, rétorque-t-elle en me montrant de son index son assiette, que je scrute consciencieusement, hypnotisé pas sa blancheur, par le vide qu'elle me montre: Et quand vous n’aimez pas un plat, vous le terminer ? Une belle éducation. Merci pour votre respect, du moins envers la crêpe que vous avez mangé.
Mon ironie l’horripile, sa réflexion m’énerve. “ Vous auriez pu me dire qu’il y avait du café et du calva
Dans ma tête, raisonnait cette phrase: “Vous ne m’aviez pas posé la question de la composition du chocolat maison.” De ma bouche est sortie cette tirade: “Vous avez tout à fait raison. Veuillez nous excuser d’avoir voulu garder secret cette recette, de n’avoir exhaustivement détaillé notre menu. Je vous annonce que dans votre crêpe il y avait, entre autre, de la farine de froment, du sucre, dont du vanillé, des oeufs, du lait. Navré de n’avoir été, sur ce point également, plus explicite.
Une réponse d'une molle inspiration, je vous l'accorde. Au final, je ne lui ai pas fait payer sa crêpe.
Vers une obligation de résultat. Si la solution résidait dans le pay per taste, avec la mesure des activités cérébrales afin de savoir si le centre du plaisir et de la récompense est activé. Dans l'affirmatif, tu paies. Dans l'infirmatif, tu retournes à tes fourneaux, en tentant de trouver la panacée, la recette miracle qui égayera les papilles de tout le monde. Sans exception.
Ce serait accentuer l’exploration de nouveaux goûts, sans risque pour le testeur, mais nier le travail effectué en amont. La recherche d’une formule culinaire originale, ses essais, et sa préparation finale.

« Je ne peux pas vous donner une formule magique qui vous assure le succès, mais je peux vous donner celle de l’échec : essayez de plaire à tout le monde », Herbert Bayard Swope

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