Un toubab au Sénégal

Vendredi 27 juin 2014, je quitte l'atmosphère protectrice de la carlingue qui me dépose à Dakar avec une bonne heure de retard.
Premier choc: l’odeur. Sur la passerelle de l’avion, je suis accueilli par un nouveau et oppressant parfum: une indescriptible odeur de brûlée et de souffre. En outre, nous sommes dans la saison des pluies. Le temps est humide et chaud. Très chaud. Mes vêtements collent, je transpire abondamment et une armada de moustiques, dans un vol en faction, attaque consciencieusement toutes les parties de mon corps qui ne sont pas recouvertes d'un bout de tissus. Les scélérates.

Si seulement j'avais eu la présence d’esprit de badigeonner ma carcasse d'une bonne couche de produit anti-bestioles volantes lorsque j’étais encore dans l'avion. Je m'en veux.
Cependant, tout a été si rapide, si brutal. Des milliers de kilomètres parcourus, mais pour un périple de quelques heures, comme l’écrit Ryszard Kapuscinski, dans son ouvrage « Ebéne »:

« Autrefois, lorsque les gens traversaient le  monde à pied, à cheval ou en bateau, ils avaient le temps de s’accoutumer aux changements. Les images de la terre défilaient sous leurs yeux lentement, le film du monde tournait tout doucement. Comme leur voyage durait des semaines, des mois, ils se familiarisaient progressivement à l’environnement , aux paysages nouveaux. Le climat lui aussi changeait par étapes. Avant d'atteindre la fournaise équatoriale, le voyageur venu de la froide Europe avait déjà traversé la douceur de Las Palmas, la canicule d’El-Mahary et l’enfer du Cap-Vert. Que reste-t-il aujourd’hui de cette gradation ? Rien !L’avion nous arrache violemment de la neige et du gel pour nous plonger le jour même dans le gouffre des flammes tropicales. Nous avons à peine le temps de nous retourner que nous nous retrouvons au cœur d’un brasier humide. »

Je n’ai encore jamais mis les pieds en Afrique. Dehors, je suis happé par l’ancien Monde. Je suis alpagué par des personnes qui me demandent qui je suis, d’où je viens, si je souhaite de l’argent local, ou bien un taxi.
Je n’ai besoin de rien. A l’extérieur, des amis m’attendent.

Il est tard, direction l’auberge les Verts, située au point E. Dans ma chambre, je règle la climatisation sur 18 degrés, j’installe ma moustiquaire et je plonge dans mon lit. Cette forteresse de toile, ce cocon anti-insectes suceurs de sang.

L'Afrique, terre de contraste, en harmonie avec la nature, et la physique. L’ordre ne naît jamais de lui même, c’est l'un des principes fondamentaux de la physique. Dans tout l’univers, y compris sur Terre, l’ordre se transforme en toujours plus de désordre. Ce qui se vérifie au Sénégal, où règne une sorte de chaos maîtrisé.

Prenez un car-rapide, ce mini bus bariolé qui ressemble plus à une roulotte de forains rafistolée à coup de planches en bois reliées par des bouts de ficelles. Un véhicule dans son plus simple appareil, et dans lequel le quidam ne cesse de se demander, à chaque secousse: « Mais, comment cela peut-il encore fonctionner ? » Et pourtant, ça roule, et c’est beau, et c’est authentique. Le car-rapide n'est soumis à aucun horaire, à aucun arrêt. Un transport en commun personnalisé où tout endroit peut devenir un point de chute. C’est selon les gens, selon leurs désirs. On s’adapte. La notion au temps n’est pas la même. Il n’est pas maîtrisé, personne n’en est esclave. Un bus ne part pas quand il est l’heure, mais quand il est plein.

Une chose qui surprend: c’est la relation homme-taxi. Quasiment tous les taxis sont usagés, parfois dans un piteux état, comme celui qui nous a ramené de Saint-Louis vers Dakar: « Ne serais-ce pas ce qu’on dénomme un cercueil roulant ? ». Toutefois, leurs propriétaires sont toujours en train de les nettoyer, de les astiquer. Il y a un profond respect. Si tu bichonnes ta voiture, elle te le rendra.

Une chose qui étonne: Si tu as besoin de quoi que ce soit, va dans la supérette du quartier. Ces petits boui-boui qui n’ont l’air de rien sont, en fait, de véritables cavernes d’Ali Baba dans lesquelles tu pourras trouver des aliments, des médicaments, de la colle, etc. C’est comme le sac de voyage de Mary Poppins. Magique.

Une chose qu’on a oublié: Les gens te parlent dans la rue, comme cet étudiant qui m’interpelle: « Na nga def ? Tout se passe bien au Sénégal ? Vous êtes content ? C’est bien que vous veniez visiter, que des gens viennent s’installer au Sénégal. C’est bon pour l’économie. » Je lui répond, toutefois cette discussion me gène. Je ne le souhaite pas, mais c'est comme cela.
En fait, cela me fait penser à une publicité pour une banque, je crois. On entend une voix d'enfant qui, dans la rue, dit « bonjour » aux passants, des inconnus. Sourire aux lèvres, ils répondent. La voix mue, le bambin devient plus vieux. Les quidams lui renvoient la politesse, mais leurs visages se ferment de plus en plus. Devenu lui-même adulte, le « salut » dérange: les piétons le regardent de travers, interloqués, apeurés.
Nous ne sommes plus habitués à ce que des étrangers viennent nous aborder dans des espaces publics afin d’engager une conversation. Devant cette situation, l’Homme moderne, méfiant, adoptera une position de repli sur soi, de défense. « Que me veulent-ils ? Pourquoi brisent-ils ma tranquillité ? Pourquoi dérangent-ils mon espace vital ? Mon cercle d'intimité ? » Son  visage se fermera, sa tête partira en arrière, ses bras se rapprocheront de son corps, et son organisme secrétera une bonne dose d'adrénaline. Prêt à fuir.

Une chose que l’on pense: Se baigner dans certains endroits au Sénégal, c’est mettre à l’épreuve son système immunitaire. Une eau pas très nette dans laquelle flottent quelques immondices. « Demain, on tentera de trouver des formes humaines aux plaques rouges qui seront apparues sur nos corps. Ce jeu s’appellera: Pareidolie. »  Au final, il n'y a aucun risque. C'est un pseudo hypocondriaque qui l'affirme.

Une chose qui peut déranger: Un européen au Sénégal, c’est un « toubab ». Un Homme blanc, et donc un Homme d’argent. Il suffit de sortir la tête dehors pour être assailli par des vendeurs à la sauvette. J'exagère, mais à peine. Néanmoins, tout ce fait avec respect. Sans animosité. Et naissent souvent de belles rencontres. « On est comme des mouches, dés que vous arrivez, on vous accroche. Mais on n’est pas comme des moustiques. On ne pique pas, » a ainsi pu dire à l’un de mes amis un artiste-vendeur ambulant sur l’île de Gorée. Ou: « Il faut donner de l’amour, pour en recevoir. Là où le cœur se trouve, les pieds n'hésitent pas à y aller, » comme a pu me déclarer une personne sur la chaloupe en direction de Gorée.

L’ironie de cette escapade, c’est qu'en revenant de ladite et charmante île, une personne a trouvé si séduisant mon smartphone ( un hyphone, dispose mon certificat de perte ) qu'il me l’a emprunté sans m’en demander l’autorisation. « Je déteste cela. Ce n’est pas normal. On est au Sénégal, le pays de la téranga. qui signifie l’hospitalité, » m’a ainsi confié un des policiers. C’est aussi de ma faute, je n’avais pas à mettre mon téléphone dans la poche avant de mon sac à dos. « Nous attendons d’un sage qu’il dise « j’avais prévenu » plutôt que de dire « je savais que ça allait arriver, » énonce un proverbe sénégalais. Vous voilà donc prévenu ;)

Autant bien le prendre, ce n'est que le vol d'un portable ;)
Par contre, si jamais vous êtes intéressés par un quelconque article, il faut la jouer finaud et ne pas directement y porter un intérêt. Car le prix sera d'autant plus conséquent. Il faut négocier. Croyez moi, ce n’est pas évident. J'ai personnellement délégué cette tâche à une experte.
Les vendeurs usent de tous les stratagèmes possibles et imaginables. Création d’un lien social avec le chaland: « Vous vous appelez comment ? Vous êtes arrivez quand ? Vous vous plaisez au Sénégal ? Vous venez de Belgique ? J’ai de la famille là bas. C’était un très beau match de foot hier soir, » puis d’un lien affectif: « je te donne cela, pour toi, car tu as pris le temps de m’écouter. Ça me fait plaisir ». Enfin, place au déballage: « dis moi ce qui t’ intéresse et donne moi un prix. »

Un peuple, un but, une foi. Au départ, le Sénégal plait et irrite en même temps, attire et repousse, allèche et dégoûte. Puis, qu’il est difficile de partir. Ces habitants, si chaleureux, ces magnifiques endroits, comme l’île de Gorée, Ngor, Saint-Louis, etc. Et ce dicton: Au Sénégal, rien n’est impossible. Et cette philosophie: Pour qu'un enfant grandisse, il faut tout un village. Et cet humour: Une visite fait toujours plaisir ; si ce n’est à l’arrivée, c’est au départ !

Jërëjëf ! Ba beneen yoon !


Arnau P, Flickr
Anecdote:

Lorsque je suis allé à l’ambassade du Sénégal afin de retirer mon visa, une jeune femme me dit, sourire aux lèvres: « Ah, mais vous êtes d’origine sénégalaise. » Dérouté, je cherche la blague: « Heu, non, je ne pense pas, je viens de Bretagne, en France, je vis depuis 5 ans en Belgique. Je ne suis encore jamais allé au Sénégal. » Un de ses collègues passe: «  Monsieur est d’origine sénégalaise et il ne le sait même pas, » lance-t-elle en s'esclaffant avant de revenir vers moi: « Salliou est un prénom connu chez nous. » Plus tard, j’apprendrai que Saliou, avec un seul L, chef du clan des Mourides, est une personnalité religieuse très célèbre.

Pour aller plus loin: 

- Voyage au Sénégal, mes déboires avec « la marque numéro 1 des voyages en ligne » Vive la technologie. Passer par le web, c’est si simple, c’est si rapide. En deux clics, tu réserves ton billet d’avion pour le Sénégal. Sauf si tu utilises « la marque numéro 1 des voyages en ligne », comparateur de prix / site de voyages; mon cauchemar. La procédure est aisée. Tu paies, on te confirme que tout est en ordre pour, finalement, te dire que: « non, l'argent n'a pu être débité de ton compte ». Au final, tu suis consciencieusement une procédure chronophage qui t'écarte de la virtualité du web pour t'engouffrer dans les méandres du monde physique. Un chemin de croix qui porte ses fruits: c'est bon, votre réservation est validée, dit « la marque numéro 1 des voyages en ligne ». Ouf ! Sauf que, 5 jours avant ton départ, tu as bien été délesté du montant de tes billets d'avion, sans toutefois les avoir. Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ! Ci-dessous, les détails de cette histoire. Pour lire la suite, cliquez-ici !

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